Un bien bon canular à base d’anus de porc et de calmar

Thomas vient de me faire parvenir un lien avec une information de première: on vendrait du calmar surgelé qui contient… des anus de porc. C’est sur le site de la Libre Belgique, et l’article vaut le déplacement! Allez voir le site: vous verrez une belle poilée de rondelles de calmar, dont vous vous dites maintenant qu’il s’agit d’anus de porc, et puis vous voyez dans le coin de la photo: abonnez-vous! Z’ont pas appris la psychologie, à la Libre?

Honnêtement, je trouve l’idée très plaisante, et a priori pas invraisemblable. Je me doute bien que l’anus de porc doit avoir à peu près la même consistance, un peu coriace, que le calmar. Un bon emporte-pièce ad hoc et voilà les rondelles à la bonne dimension. Ça ne doit pas être plus compliqué à faire que le surimi: un peu de purée de déchets de poissons, un soupçon de glutamate et de “colle” (genre pectine ou – read my lips – gelatine de porc), le tout joliment coloré et additionné de jus de petits poissons et autres bestioles marines invendables à cause de leur look mais parfaites pour le gout, si raffiné, du crabe en boite.

Que dit l’article?

Le titre (<<De l’anus de porcs dans les calamar>>) donne a penser que quelque part (peut-être en Belgique), quelqu’un a mélangé une certaine proportion d’ anus de porc à du calmar.

Ensuite un lien qui dit  <<Nouveau scandale alimentaire: des calamars faits d’anus de porcs>>

Il semble que le canular soit d'origine américaine. Ses auteurs savent-ils qu'ils ont parmi leur victimes une politicienne européenne bien naïve!  Soure de l'illustration: http://www.thisamericanlife.org/radio-archives/episode/484/doppelgangers

Il semble que le canular soit d’origine américaine. Ses auteurs savent-ils qu’ils ont parmi leur victimes une politicienne européenne bien naïve! Source de l’illustration: http://www.thisamericanlife.org/radio-archives/episode/484/doppelgangers

Le message n’est pas le même: on a bien fait des calmars avec des anus de porc, mais la proportion de porc est de 100%, et nous avons un scandale. Le contexte suggère qu’il est aussi sérieux que celui de la viande de cheval dans les hamburgers… L’indignation est de façade, bien entendu. Y avait-il autre chose à cacher dans les médias à l’époque? Des tas de gens (sauf les Anglais, parait-il; Harris, 1998) mangent du cheval et s’en portent bien. Du lombric dans le hamburger, je ne dis pas, ça dérange nos habitudes, mais du cheval? Pas moins mais certainement pas plus que quand mon ami Momo a découvert que les spaghetti à l’amatriciana qu’il aime tant sont à base de lard! Quand c’est fait, c’est fait. C’était bon: pas de regrets. Excellente règle de vie qui va au-delà de l’alimentation!

Bon, je m’égare. Un bon blogueur sait garder son cap. Cent mille excuses, donc, et poursuivons la lecture:  <<Nous savons que des supermarchés en Europe ont réalisé des test positifs sur ce type de produit>>. Ah: quelqu’un leur a dit, ils ont ouï dire que quelqu’un quelque part, mais sans doute pas en Belgique,  a trouvé “du porc” (test positif). “Du porc”. Un peut détecter un nanogramme de mercure dans un kilo de cheveux, et assurément aussi un nanogramme de la séquence ATC CCA GAC TTA CCG CTT AGC CTA TTA CGG CGG CTA si caractéristique (n’est-ce pas) du cochon. Je traduis: il y avait des traces de porc dans les calmars, quelque part en Europe. C’est comme mon Müsli, il peut contenir des traces de noisettes; c’est dit sur l’étiquette. Je me suis toujours demandé comment c’était possible. Ils ne nettoient pas les conduites de nutella avant de lancer la production du Müsli?

Si ça se trouve, quand on a fini de nourrir les poissons avec les déchets de poulets, et les poulets avec les déchets de poisson après pressage pour en extraire l’agent de sapidité du surimi surfin, on a nourri les calmars avec des restes de porc et, pas de chance, un peu d’intestin de calmar a été mis en boite avec le reste de la bête… Ok, j’admets. Je suis de mauvaise foi. Je redeviens sérieux et je poursuis la lecture…

<<Esther de Lange, parlementaire néerlandaise, a mené son enquête sur les différents scandales qui ont touché le secteur agro-alimentaire ces dernières années. Elle a été mandaté en cela par le Parlement européen qui a rendu un rapport alarmant sur les magouilles de cette industrie.>> Je passe sur l’accord du participe et je reviens à l’essentiel: nous mangeons des saloperies, c’est un fait connu. Déjà du temps d’Astérix, “les sangliers avaient mangé des cochonneries.” Mais je m’égare de nouveau. Il faut que je recentre!!!

<<L’instance européenne veut rendre la loi sur les contrôles plus stricte avant les élections de 2014. L’année 2013 n’a pas épargné le consommateur qui n’a pas oublié le scandale de la viande de cheval dans les lasagnes surgelées…>>

Je dresse l’oreille: z’avez dit z’élections… Bien sûr. Je suis décidément dénué de tout sens pratique et politique. Dès avant les élections, on ne rasera certes pas gratis, mais les Européens mangeront mieux. C’est bien. Que <<les Européens n’ont pas oublié le scandale>> c’est sûr…Mais c’est quoi, le résultat des courses? Y’a plus d’âne dans le zébu haché? Quand c’est qu’on le saura? C’est Esther de Lange qui se fera refaire la permanente pour nous le dire dans une conférence de presse? Soyons optimistes: nous reverrons Esther! Je note aussi en passant que le cheval était dans des lasagnes. C’est pas ce dont je me souviens: le cheval était partout, même dans les aliments pour bébé… mais un petit coup de couteau à un truc rital, ça ne peut pas faire de tort, ça fait toujours plaisir au lecteur belge!

<<Dans la liste des abus recensés par la politicienne, l’exemple le plus frappant est certainement celui des calamars surgelés qui contiennent en fait des… anus de porc.>>

Ambiguité, ambiguité… On peut toujours dire que ce n’est pas voulu, mais ce que je lis c’est que certains (on peut aussi lire “tous”, mais j’ai décidé d’être gentil) calmars contiennent en fait des anus de porc. Vous lisez ça comment? Moi, je lis que certains calmars contiennent 100% de porc. C’est comme le pâté de lapin, qui contient au moins 22% de lapin, alors que le pâté “au lapin” doit contenir au moins 1% de lagomorphe. Ici nous avons indubitablement du céphalopode pur porc (enfin, dans sa fraction protéinique, parce que la sauce “à l’huile d’olive première pression à froid” (>0,2%!), aux tomates, épices etc compte au moins pour 10%).

<<Le quotidien flamand Het Laatste Nieuws reprend les propos de la parlementaire : “Nous savons que des supermarchés en Europe ont réalisé des test positifs sur ce type de produit.”>> Rien de nouveau, si ce n’est encore une fois que le voisin flamand a parlé au bonhomme qui a parlé au chasseur qui aurait tué l’ours. Par ailleurs, il est bon de rappeler que Het Laatste Nieuws est un journal flamand, parce que son nom ne l’indique pas… A moins que le souci d’éducation ne soit plus subtil: le belge francophone pourrait croire, vu qu’on parle de Hollandais, que Het Laatste Nieuws est un journal lui aussi hollandais. Dans ce cas, dire “Le quotidien flamand Het Laatste Nieuws” peut être vu comme un sursaut de fierté didactique, voire de solidarité pan-belge.

La suite est plus précise: <<Un cas qui ne s’est encore jamais présenté en Belgique, selon l’AFSCA, Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire. Pour la parlementaire européenne, l’Union européenne ne prend pas assez ses responsabilités pour combattre un phénomène inquiétant. “Les inspecteurs doivent travailler comme des policiers et les fraudeurs doivent être condamnés à payer de solides amendes. Pour l’instant, cela se limite à des avertissements…”>>

Nous voilà rassurés. C’est bien ce que je subodorais: cette chose immonde de l’anus de porc s’est passée ailleurs. C’est ce que dit l’AFSCA. On se demande d’ailleurs ce que cache ce sigle. La sécurité de la chaîne alimentaire. La chaîne n’est pas sure? Ou ce sont les aliments qui ne le sont pas? On veut protéger la chaîne? Les transporteurs? Les routes? Les entrepôts de surgelés? On a peur que des terroristes entreprennent la coupure de la fourniture de nourriture? En ces temps où la séçurité d’internet subit des accrocs répétés, tout est possible, mais comme sur internet, ce n’est pas la chaîne qu’il fait protéger, mais les noeuds du réseau. Les consommateurs, Germaine, pas la chaîne! On dirait qu’en Belgique quelqu’un ne sait pas la différence entre sécurité, qualité et salubrité alimentaire… mais peut-être est-ce la Libre qui n’a pas bien recopié l’acronyme (voir définitions ci-dessous).

Revenons à nos cochons, et je répète pour ceux qui ont perdu le (gros) fil (blanc)… <<Union européenne ne prend pas assez ses responsabilités>>. C’est bien: Esther est payée généreusement par l’UE, mais elle garde son indépendance; j’allais dire “indépendance intellectuelle”, mais quand même, je ne peux pas m’égarer à ce point. <<Les inspecteurs doivent travailler comme des policiers et les fraudeurs doivent être condamnés à payer de solides amendes.>> C’est le bon sens même! <<Pour l’instant, cela se limite à des avertissements…>> Est-ce une info? Est-ce la réponse à ma question à propos de l’équidé perdu dans la biomasse de ruminant? A-t-on trouvé des responsables? Ont-ils subi une peine commensurable à la grandeur de leur crime (à défaut d’être consubstancielle, ce que personne ne leur souhaite)? Ou bien ont-ils simplement été réprimandés? Vraiment, la Libre me déçoit: elle ne va pas au bout de l’info.

<<Un professeur américain, John Spink, a d’ailleurs établi un classement des aliments les plus problématiques, qui seraient régulièrement soumis à des pratiques douteuses et dangereuses pour la santé. Parmi ceux-ci : huile d’olive, poisson, produits bio, lait, miel, thé et café…>> Bon, à part les items de la liste, qu’est-ce que nous mangeons? Des animaux morts, dont certains ont mangé des cochonneries, je le disais, mais aussi des antibiotiques, des PCB; des fruits et légumes au round-up de chez Monsanto etc. Le professeur américain est sans doute un expert reconnu (selon l’expression italienne “un grande professore”), mais l’article indéfini n’inspire pas vraiment confiance. Il sent un peu le mensonge. Soit sa liste déconne, soit la Libre n’a pas lu jusqu’au bout.

Je reprends le cable (blanc, dont question ci-dessus): <<Interrogée par les médias sur ses trouvailles les plus frappantes en matière de fraude alimentaire, Esther de Lange a indiqué que des sources sérieuses lui avaient fait part de “rumeurs” sur une fraude aux calamars. Mais l’information aurait été grossie par certains médias.>> Vous ne trouvez-pas ça fort? Voilà maintenant que nous apprenons que la Libre a lu dans Het Laatste Nieuws qu’une source sérieuse a informé Esther de l’existence de rumeurs. Ça, c’est du journalisme! Heureusement que la source est sérieuse! Notez en passant que je comprends pourquoi la Libre parle de “trouvailles” plutôt que de “découvertes” ou même “d’informations”.

Et la conclusion? Retournons à la Libre: <<Aucun test n’a permis d’étayer ces informations, a précisé son porte-parole à Belga, réfutant les informations faisant état de “tests positifs” parues dans la presse belge et largement relayées sur les réseaux sociaux.>>

La conclusion de cette info, de l’aveu même de la Libre, c’est donc qu’il n’y a pas d’info.

Je tire mon chapeau à l’inventeur du canular (voir Slate), mais personne ne m’empêchera de penser que certains journalistes gagneraient à se suicider, et s’ils entrainaient leur rafiot avec eux, qui s’en plaindrait?

Ah oui: et n’oubliez pas de voter pour Esther!

PS: il faut lire les commentaires des lecteurs sur le site de la Libre!

Reférence bibliograpique

Harris, M., 1998. Good to eat. Marvin Press, 289 pages. Il s’agit d’une réédition. La première version (1985) portait le titre The sacred cow and the abominable pig. Un bouquin intéressant qui émet l’hypothèse que l’interdiction du porc chez certains peuples sémitiques est d’origine écologique et non pas sanitaire.

Définitions prises à la FAO (http://termportal.fao.org/faoterm/main/start.do?lang=fr)

Salubrité almentaire: Ensemble des mesures sécuritaires qui ont pour objet de protéger le consommateur contre les germes, les bactéries et autres dangers que peut affronter l’industrie alimentaire.

Sécurité alimentaire: On parle de sécurité alimentaire quand toute une population dispose en tout temps d’un accès matériel, social et économique à des aliments sains et nutritifs en quantité suffisante pour satisfaire ses besoins énergétiques alimentaires, qui répond à ses préférences alimentaires, et lui permet de mener une vie active et en santé.

Il y a aussi la sécurité sanitaire des aliments, la sécurité nutritionelle et la qualité des aliments.

 

 

 

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thomas
thomas
10 years ago

Ne jetons pas la pierre à ce journaliste qui, à défaut de rigueur, a au moins été capable de trouver un titre accrocheur, imagé et je trouve, ne manquant pas d’humour… raison principale de mon post.

Ceci dit, pour en revenir à la croisade paternelle, au delà de ce journaliste, j’ose espérer que cet article est passé entre les main d’un rédacteur en chef avant d’être publié. Dans un élan d’optimisme forcé, je me dis que, tant le journaliste que le rédacteur, avaient bien conscience de l'”information” qu’ils publiaient… et je me pose la question du pourquoi? Probablement parce que c’est le genre d’information que leurs lecteurs demandent… et qu’on la leur donne… voici peut-être quelque chose de plus préoccupant…

Pour conclure, ce cas n’est pas isolé… en voici quelques autres exemples d’information capitale:

Mozart rend les coloscopies plus performantes Le Figaro ( http://sante.lefigaro.fr/actualite/2011/11/02/15287-mozart-rend-coloscopies-plus-performantes )

Un stylo passe 25 ans dans l’estomac d’une femme et fonctionne toujours Le Matin ( http://www.lematin.ch/faits-divers/Un-stylo-passe-25-ans-dans-lestomac-dune-femme-et-fonctionne-toujours/story/25381541?comments=1 )

La chèvre bloquée sur le rocher pourrait être… un mouton ! La Montagne ( http://www.lamontagne.fr/auvergne/actualite/2012/02/09/la-chevre-bloquee-sur-le-rocher-pourrait-etre-un-mouton_174784.html )

wergosum
wergosum
10 years ago
Reply to  thomas

J’adore l’histoire de la chèvre! Ça me rappelle deux autres histoires. Celle du mouton australien, qui ne fait jamais rire personne… et celle de l’ibex des Pyrénées, sous espèce de chèvre sauvage, à présent éteinte, dont le dernier survivant est mort dans un zoo espagnol en 2006. Voici ce que dit wikipedia (http://en.wikipedia.org/wiki/Pyrenean_Ibex): “The last natural Pyrenean ibex, a female named Celia, was found dead on January 6, 2000, next to a fallen tree. Although her cause of death is known, the reason for the extinction of the subspecies as a whole is a mystery.” Bien que la cause de sa mort soit connue, l’extinction de la sous-espèce reste un mystère, dit wikipedia. Voici la vérité. Celia a été trouvée “next to a fallen tree”. En fait, l’arbre a été frappépar la foudre, et le dernier ibex vivant a donc été foudroyé. La cause de l’extinction de la sous-espèce est un mystère? Que nenni: c’est Dieu qui en voulu ainsi.

wergosum
wergosum
10 years ago

Pisque nous parlons de calmar… je suppose que tout le monde connait “Le rêve de la femme du pêcheur”, de Katsushika Hokusai, un dessins très plagié et “adapté”! Voir http://www.katsushikahokusai.org/Dream-of-the-Fisherman's-Wife-large.html. Quand j’ai voulu ouvrir le site, la censure chinoise est entrée en action avec ses gros sabots et j’ai eu droit à l’habituel “peux pas!” J’ai du activer un canal VPN et j’ai pu poursuivre.