Ce week-end, je me suis installé devant mon portable en me disant que j’allais écrire quelques lignes sur les castors.
Pourquoi les castors, me direz-vous? Parce que tout le monde me parle de castors! Depuis le 1er février 2006, mon ami Jacques se débat avec une colonie de castors dans le sud de la France, castors certes sympathiques pour qui est tolérant et ami de la nature, mais néanmoins castors destructeurs d’arbres et inondeurs de chemins! Mon frère Guy a lui aussi une colonie de castors à un peu plus de deux cents mètres de la maison… Enfin, ma sœur Elisabeth, la photographe de la famille, m’envoie le 10 mai 2010 une de ses photos qu’elle intitule “M. Castor”. Ça fait beaucoup de castors et justifie sans doute un petit laïus bavard sur le sujet!
Pour ma part, j’ai peu à offrir en la matière, sinon quelques souvenir d’enfance qui m’ont fait réfléchir et dévier de la ligne droite que je m’étais tracée pour ce blog.
Quand j’avais dix ou douze ans, je me promenais souvent avec mon père. Il était instituteur et, comme la majorité des enseignants, il ne pouvait s’empêcher de faire la classe, même quand il n’avait que moi pour élève. Certaines phrases me sont restées à l’esprit; elles proviennent sans doute de son répertoire et je ne serais pas surpris que ses anciens élèves s’en souviennent tout comme moi! En voici deux:
Die Emmels ist eine kleine Amel
Der Bierbach ist ein Bieberbach
Je ne cite que celles-là parce qu’elles vont me permettre de revenir aux castors. Mon père était bien au fait de l’étymologie des noms de rivières et des ruisseaux: Mosa et sa petite sœur Mosella, le Eiterbach (der nichts mit Eiter zu tun hat), le Werelsbach et la Braunlauf, mot d’origine celtique (brunapa, brunafa; apa=eau) dont la première mention, disait-il remontait à je ne sais plus quelle description de limites de l’abbaye de Stavelot ou de Prüm.
Plus j’y pense, plus je me rends compte qu’il a toujours été intéressé non seulement par les ruisseaux mais aussi par les frontières, peut-être parce que la Rur qui constitue depuis le Traîté de Versailles (article 34, ajoutait mon père) la frontière entre la Belgique et l’Allemagne dans ce coin du monde, coule à un km de la maison où il grandi, et que la rivière symbolisait de façon oh combien tangible la séparation de la famille en (pas si) bons Belges et méchants Allemands! Curieusement, son travail au cadastre de 1946 à 1957 est aussi en rapport avec les frontières et les limites. Il m’emmenait sur sa moto quand il allait faire des mesurages de pâtures ou de bois dans les villages. Mon travail consistait à tenir les jalons et à chercher les bornes. Quand nous trouvions la borne à l’endroit attendu, c’était une borne prussienne. Par contre, quand nous mettions dix minutes à la chercher, c’était une borne belge… C’était l’humour de mon père! En réalité, je suppose qu’en plus des inévitables erreurs de mesurage, l’un ou l’autre paysan déplaçait les bornes pour grignoter deux mètres de pâture aux dépens de son voisin… ou de sa veuve!
En 1977, mon père a commencé à écrire régulièrement des articles (116 en tout jusqu’en 1997, deux ans avant sa mort) dont une bonne partie on trait à l’eau et aux frontières. C’est un sujet qui le fascinait manifestement, et moi, cette fascination m’intrigue!
Voici quelques exemples: en 1982, une série de quatre articles sur le thème Oh schaurig ist’s übers Moor zu geh’n! dont le dernier parle de Alte Wegweiser auf dem Hohen Venn; en 1983, trois articles sur Der Aachener Grenzvertrag vom 26. Juni 1816 – Verlauf der ehem. preuß.-belg. Grenze laut Wiener Kongreßakte – ; à partir de 1989, une série d’articles sur les moulins à eau (dont Die Mühlen der ehemaligen Herrschaft St.Vith ) y compris, en 1990, une Geschichte der Neidinger Bannmühle, von Pächtern und Ernten zwischen 1549 und 1802. Cet article m’a complètement échappé: il faudra que je le regarde de près pour voir si j’y trouve des séries de productions agricoles…; et enfin, en 1993, Vermarkung der ehemaligen niederländ.-preuß. bzw. belgisch-preuß. Grenze.
Il y a même un article de 1992 intitulé Am Flußlauf der Rur qui confirme l’intérêt particulier de mon père pour la Rur, dont les Français de Napoléon avait fait la Roer, et même un département (voisin de celui de l’Ourthe!) avec Aix-la-Chapelle pour capitale.
Mais revenons aux castors…
Je ne sais pas pourquoi mon père me parlait du Bieberbach. Bien que les toponymes qui dérivent du castor soient très nombreux en Belgique wallonne et flamande (Bièvres, Bierges, Beveren etc.), il n’y a pas chez nous, en Belgique germanophone, de Bierberbach, ni de Bierbach. Les plus proches sont dans l’Eifel, ou alors dans le Luxembourg belge (Attert): Bierbach, bien entendu, et Bierbaach, Bierschbaach et variantes. Cliquez ici pour une liste des ruisseaux. Pour une carte très détaillée du réseau hydrographique belge, téléchargez la carte du Spurensuchnetz, et agrandissez-la, agrandissez-la encore moultes fois, et la réagrandissez! Vous finirez par pouvoir lire le nom du plus petit ruisseau.
Voici ce que me racontait ma soeur Elisabeth G. à propos de M. Castor: un jour, je me suis arrêtée à Gouvy pour faire des photos. J’ai été interpellée par un couple…qui croyait que je venais photographier “leurs” castors et surtout les dégâts que ces sales bêtes avaient provoqués à leurs arbres, et à
leur étang. J’ai alors eu droit à une visite guidée du site, que j’ai consciencieusement photographié pour ne vexer personne. Elle ajoute: Mais c’était vraiment sympa! Et la tête du Mr Castor, je trouve qu’elle en valait la Peine ! Je joins la tête de M. Castor.
Quand Jacques a des ennuis avec ses castors, il prend la chose du bon côté (email daté du 4 juin 2010): J’en avais marre d’être le bailleur de fonds des castors pour la construction de leurs barrages. J’ai donc évacué tous les rondins de moins de 20 kg que j’avais préparés pour dans deux hivers… Comme je te l’avais indiqué ils ont construit un petit barrage pour réguler l’autre ruisseau afin de mieux faire flotter les rondins qu’ils me piquaient. Ce qui est étonnant dans ce tout petit barrage haut de 20cm c’est la finition en pierres soigneusement alignées au sommet. J’ai pris quelques photos, mais trop tard car les choses ont un peu bougé et la végétation a tellement poussé que l’on ne voit pas bien.
On voit que Jacques, contrairement à M. Castor, s’est fait une raison et qu’il a opté pour la coexistence pacifique. Les castors font partie de son environnement et il les gère comme il peut.
Selon le Monde du 25 Mai 2010, ce n’est pas le cas du ministre de l’intérieur polonais, Jerzy Miller, qui a accusé mardi les castors d’avoir contribué aux inondations qui affectent la Pologne et qui ont déjà provoqué la mort de quinze personnes. “Le plus grand ennemi des digues, c’est un animal qui s’appelle le castor. Les castors vivent partout le long des digues de la Vistule et contribuent largement à leur détérioration”, a déclaré M. Miller lors d’une conférence de presse. Selon les services de protection de la nature, quelque 50 000 castors vivent en Pologne, où ils sont partiellement protégés. A la suite des inondations, les autorités locales ont augmenté les quotas de chasse aux castors. Voir aussi le Matin de Genève.
Z’ont bon dos, les castors; ils éviteront certainement à l’un ou l’autre extrémiste de poser des questions sur les actions d’entretien des digues qui sont certainement depuis toujours une des priorités du gouvernement polonais !
La déclaration de M. Miller décerne ses lettres de noblesse à la boutade sauvez la forêt, bouffez un castor. Parmi les commentaires à l’article du Monde, certains esprits irrespectueux vont jusqu’à se demander Et pour l’avion du président, c’était les pigeons?
Pour ma part, j’ai été tenté un court instant de faire preuve de mauvaise foi et de citer hors contexte un petit passage de Thomas Cantimpré (Thomas Cantimpratensis, Thomas Brabantinus ou Thomas van Bellenghem). Cantimpré (né en 1201) est l’auteur d’un Liber de natura rerum , écrit vers 1230 (voir wikipedia et ce lien ) dans lequel il affirme à propos des castors Poloni dicunt falsum (littéralement: les Polonais disent le faux, c.à.d, ils mentent!)
J’ai déjà confessé ma mauvaise foi; elle me sera donc pardonnée! La citation complète est Poloni dicunt falsum esse hoc in illis castoribus, qui apud ipsos sunt, quia testiculi castoris non eminent extra sed intus in ventre iacent sicut renunculi (Les polonais disent que ceci est faux chez les castors qui sont près de chez eux, parce que les testicules du castor sont à l’intérieur du ventre, comme les “rognons”). La phrase se refère à la croyance selon laquelle le castor s’auto-amputait de ses testicules pour échapper aux chasseurs. En réalité, les chasseurs s’intéressaient aux glandes qui produisent une huile, le castoreum, qui a été utilisée en médecine pendant des siècles. Beaucoup confondaient ces glandes avec les testicules.
Conclusions?
Que conclure de ce vagabondage castoréen? Que le castor est bien revenu en Europe, n’en déplaise aux politiciens à la recherche de boucs émissaires, qu’il pourra donc jouer un rôle important dans la régulation du débit des cours d’eaux, après un siècle de ce que les Belges appellent la “rectification” des cours d’eau (Dieu créa les cours d’eau, et le Génie Rural les rectifia, par l’intervention de l’Hydraulique Agricole). Je retiens aussi que mon père avait une certaine fascination pour les cours d’eau et les frontières et, enfin, que les Polonais étaient apparemment moins crédules au XIIIème siècle qu’au début du XXIème.
Post scriptum: j’apprends dans le Grenz-Echo du 16 août 2010 que certains castors n’appartiennent pas à l’espèce européenne, et que les Eaux et Forêts les éliminent très justement. Es ist jedoch nicht ausgeschlossen, dass ähnliche Maßnahmen auch in anderen Tälern der Eifel (Eiterbach oder Braunlauf) ergriffen werden müssen, sollte sich herausstellen, dass die dortigen Biber ebenfalls kanadischer Abstammung sind. J’espère que Guy nous tiendra au courant!
j’ai bien essayé de lire tes observations… mais le texte que je lis est un melting-pot de toutes les langues et de phrases incomplètes ou mélangées.
Exemple “que j’espère Guy courant UNO tiendra au !”
Bon, alors, virus ou pas virus ? chez toi ou chez moi ? Bizarre , et bisous E
ben non, maintenant tout est revenu dans l’ordre et lisible. je n’y comprends rien
… mystères du net et de l’informatique!
R
Neueres zum Bieber im südlichen Ostbelgien vom Grenz Echo: hier, hier und hier.
Bieberdamm in Ulftal; Bildquelle