Le béton romain (Opus caementicium) et l’ opus reticulatum m’ ont toujours frappé par leur omniprésence à Rome, Ostia antica, Pompei… On cite le Panthéon1 comme exemple de résistance au temps2, mais il y a bien d’ autre structures: les égoûts de Rome, les aqueducs et les insulae d’ Ostia antica, immeubles de plusieurs étages. Il est partout, le ciment romain.
En comparaison avec les produits modernes, ce béton3 grossier ne paie pas de mine avec son apparence peu homogène et ses nombreuses inclusions macroscopiques.
Alors quand on voit que, une fois de plus, on enfin a percé le mystère du ciment romain, on se doit de prêter attention. On savait déjà que le facteur clé est la pouzzolane. Non: c’ est l’eau de mer! Non: ce n’ est pas l’ eau de mer non plus, ou plutôt, ce n’ est pas seulement l’ eau de mer: c’ est un procédé qui fait intervenir la chaleur et les propriétés auto-cicatrisantes du ciment romain. Les microfissures qui se forment lors de la prise sont automatiquement colmatées. Voir aussi cet article de Ars technica pour quelques infos supplémentaires.
Tous les détails techniques de la découverte sont dans Science, excusez du peu, et le lendemain du jour de la publication (c.à.d. hier, le 6 janvier 2023), la notice Wikipedia anglaise sur le ciment romain reprend déjà l’ info. On voit là que des Relations publiques publiques très “pro” sont à l’ oeuvre.
La liste des inventeurs du nouveau ciment romain n’ est pas triste, et mérite qu’ on s’ arrête quelques instants. Les voici, avec leurs rôles respectifs selon l’ article de Science:
LMS Linda M. Seymour | JM Janille Maragh | PS Paolo Sabatini | MDT Michel Di Tommaso | JCW James C. Weaver | AM Admir Masic |
Department of Civil and Environmental Engineering, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, MA 02139, USA. | Department of Civil and Environmental Engineering, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, MA 02139, USA. | DMAT srl, Udine, 33100, Italy. | IMM, Istituto Meccanica dei Materiali SA, via al Molino 55, 6916 Grancia, Switzerland. | Wyss Institute for Biologically Inspired Engineering, Harvard University, Cambridge, MA 02138, USA. | Department of Civil and Environmental Engineering, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, MA 02139, USA. |
Data curation, Formal analysis, Investigation, Methodology, Software, Validation, Visualization, and Writing – original draft. | Formal analysis, Investigation, Methodology, Software, Validation, Visualization, Writing – original draft, and Writing – review & editing. | Methodology, Validation, and Writing – review & editing. | Conceptualization, Investigation, Methodology, Resources, Validation, and Writing – review & editing. | Formal analysis, Investigation, Methodology, Resources, Software, Validation, Visualization, and Writing – review & editing. | Conceptualization, Funding acquisition, Investigation, Methodology, Project administration, Supervision, Validation, Writing – original draft, and Writing – review & editing. |
Nous avons là une série de personnes aux rôles typiques, l’alliance éternelle entre main d’ oeuvre, Science et Business:
Les deux Petites mains qui ont fait tout le travail expérimental et écrit le premier jet de l’ article | Les deux bétonniers4 insubriens qui s’ occupent de vrai ciment dans leurs vraies vies | Les deux crédibilisateurs scientifiques qui nous assurent que ce travail, c’ est du sérieux |
On nous annonce que d’ ores et déjà the team is working to commercialize this modified cement material. On ose espérer que, si le nouveau-ciment-romain-éternel-qui-réduit-les-émissions-de-CO2 tient ses promesses, les Petites mains auront leur part du gâteau.
Qu’ en est-il des Bétonniers insubriens? Le premier, Italien, est un fondateur et CEO de DMAT, une société apparemment italo-américaine qui “accélér[e] l’évolution mondiale de la construction en développant des solutions plus durables, plus équitables et plus abordables”5. Quant à IMM, l’ Istituto Meccanica dei Materiali SA il ne faut pas se laisser induire en erreur par les mots. Il s’ agit bien d’un businness (suisse) de vérification de la qualité des matériaux de construction. Admir Masic est un conseiller de DMAT et par ailleurs un co-fondateur.
La section de l’ article sur les “competing interests” (Intérêts concurrents) confirme que PS et AM sont des parties prenantes de DMAT. AM et LMS ont présenté la demande de brevet au nom du MIT. Nous apprenons aussi que DMAT dispose de “certains droits pour commercialiser ces demandes de brevet”6. Cette formulation est quelque peu obscure, mais il se peut que dans la demande de brevet elle le soit moins. PS et MDT sont cités comme inventeurs de la demande internationale (PCT7) aupès de l’ OMPI (voir la publication originale pour les détails). Les autres auteurs déclarent qu’ils n’ont pas d’intérêts concurrents.
On se prend à rêver que le pont Morandi de gênes aurait pu être construit en nouveau béton romain par DMAT, et vérifié par son voisin IMM, à défaut d’ avoir été mis en oeuvre par Vitruve.
Mais c’est juste un rêve! Comme du reste le fait que les petites mains puissent avoir leur part du gâteau.
Je signale que j’ ai mis dans ma collections d’ articles du petit scientifique curieux un dossier complet sur le “nouveau ciment romain” sous le titre The extraordinary durability of Roman concrete.
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- Les portes en bronze du Panthéon sont elles aussi “d’époque”, mais on s’ étonne moins de leur solidité. On mentionne surtout leur poids![↩]
- Ce qui veut dire résistance aux agents atmosphériques, aux tremblements de terre, à l’ homme, surtout…[↩]
- Ce billet utilise de façon interchangeable “béton” et “ciment“[↩]
- Mot que je préfère à “bétonneur”, généralement péjoratif[↩]
- We are accelerating the global evolution of construction by developing more sustainable, fairer, and affordable solutions. C’ est dit ici[↩]
- “DMAT srl has certain rights to commercialize these patent applications.”[↩]
- Patent Cooperation Treaty, le système international des brevets[↩]
Un physicien nucléaire m’ a dit que le béton romain servait de modèle pour modéliser le vieillissement de réacteurs: https://phys.org/news/2021-01-romans-power-concrete.html
Merci! Il me semble qu’ on est pas à la fin des hypothèses sur causes de la résistance du béton romain. Ça me rappelle l’ histoire des canons de marine anglais en fer que raconte Cipolla dans Guns, Sails, and Empires: Technological Innovation and the Early Phases of European Expansion, 1400- 1700. Tout le monde connaissait leur qualité supérieure ainsi que leur grande légèreté par rapport aux canons de bronze, mais personne ne savait le pourquoi.
Je suis allé voir l’ article sur le site de Nagoya University. L’ article est téléchargeable, pour ceux que ça intéresse… Ce que je trouve très amusant, c’ est que comme nos six auteurs, ils ne ,manquent pas de jouer la corde climatique: The finding could help scientists develop stronger and more eco-friendly concrete.
R.
Le physicien qui m’a parlé n’a rien à voir avec l’article et notre conversation remonte à une douzaine d’années. Si mes souvenirs sont exacts, il m’a dit en gros ceci : Le béton des centrales nucléaires n’a, au mieux que quelques décennies, donc i est difficile de prévoir son évolution. Par contre, on peut voir les bétons romains sur 2000 ans ou plus et donc étudier leur vieillissement de manière très fine. Il y a donc des leçons à tirer pour améliorer le béton des centrales.
En réalité, la dernière découverte (révolutionnaire) suppose que l'(incroyable) qualité du “béton romain” était due à l’ajout de chaux vive (en plus de celle éteinte) lors de sa fabrication. Béton magique autoréparant.
Problèmes ?
– la coupole du panthéon est un mauvais exemple elle a subi de très nombreuses réparations.
– on a continué à faire cela depuis le début. Utiliser la pouzzolane de la baie de Naples mais aussi celle si particulière (riche en K+) plus au nord ainsi que l’extinction dite à chaud pour des ouvrages pas si résistants que cela.
Effectivement l’intense battage médiatique accompagnant le dernier article à de quoi surprendre…
😉
PS; l’aqueduc de Pont-du-Gard est tout en pierres.
Merci pour le commentaire, Robert! Je ne savais pas que la coupole du Panthéon avait été refaite. Mine de rien, réparer ça, même avec des moyens modernes, c’ est pas du gâteau! Je pense aussi à l’obélisque d’ Axum qui se trouvait au bout S du Cirque Maxime: ramené en une pièce par Mussolini, mais scié à mi-hauteur avant de le renvoyer à Axum!
R.
J’ ai regardé hier soir un intéressantissime reportage d’ ARTE sur la construction (en cours) du château (médiéval) de Guédelon. Voir ce lien à la minute 26:25. Comme vous disiez: on a continué à faire cela depuis le début. La fameuse découverte du “secret” du béton romain semble donc être essentiellement une manoeuvre des deux auteurs “bétonniers insubriens” et de leur “complice” du MIT, une tentative de plus d’ accaparement par le Business de techniques traditionnelles. C’ est, malheureusement, un air connu…
Le reportage dit qu’il faut plusieurs siècles pour que certains bétons dans le gros murs sèchent, mais que ce béton conserve “sa souplesse”, ce qui, je suppose, est une autre formulation des “caractéristiques auto-cicatrisantes” de ce béton.
R
Bonjour, c’est des travaux de Coutelas sur les mortiers anciens (e.g.) que je tire cette, euh, affirmation. Et je ne suis pas aussi sévère quant à l’opération marketo-scientifique du MIT.
Ce que l’on sait des fragilités du béton que l’on fabrique en quantités ahurissantes (eq. a sept pyramides de Kheops par jour, calculs a refaire) est lié surtout à la ferraille qu’on y ajoute. Elle fini par rouiller. Et pour les bétons précontraints e.g. c’est critique. D’ailleurs je ne vois pas en quoi la cicatrisation (étudiée par d’autres) telle que proposée change la donne.
La “solution interstitielle” laisse passer l’O2, la carbonatation est inévitable et à termes les aciers dépassivés.
La qualité de certaines constructions du temps de Rome est indéniable. Mais quid de la mise en oeuvre ? Et surtout qu’en faire ? Entre les voiles de béton actuelles et les coupoles antiques il y a des siècles mais aussi des métres d’épaisseurs. La base du panthéon en fait 7… et cetera desunt.
😉
(PS: l’Asso “Guedelon” produit elle-même des vidéos plus complètes sur ses travaux qu’Arte)
Re-merci pour ce commentaire. Je découvre par la même occasion votre Blog Chaux et dépendances (très classe comme présentation!) où il y a à boire et à manger, comme on dit, en matière de ciment. R