… avec un petit hommage à la mémoire de mon ami Maurizio1
J’ai cuisiné ce matin de la carbonade à la bière, la recette simple standard de chez nous, je crois:
– fristouiller2 les morceaux de viande3
– enlever la viande fristouillée de la casserole, et y fristouiller des oignons
– ajouter la viande aux oignons
– ajouter un demi-litre de bière blonde et une cuiller à soupe de sirop de Liège , et mijoter pendant deux heures
– ajouter une grande tranche de pain généreusement tartinée4 à la moutarde
– mijoter encore une heure.
La première fois, c’était très bon et nous nous sommes esbaudis du résultat.
La deuxième fois, je me suis rappelé qu’un ajoute parfois des pruneaux, ce que je fis. Le résultat fut moyen, parce que j’ai ajouté les pruneaux trop tôt et ils étaient complètement défaits en fin de parcours. Très écoeurant pour un plat de viande.
La troisième fois, aujourd’hui, j’ai bien pris soin d’éviter les pruneaux. Mais j’ai fait une autre erreur: j’ai ajouté trois feuilles de laurier fraîchement cueillies (ça, ça va encore) et cinq clous de girofle, en me disant que cinq, ce n’est pas beaucoup. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est beaucoup trop. C’est la leçon du jour: le clou de girofle est une médecine très puissante, trop puissante pour la carbonade5.
Bref, cinq clous de girofle dans la carbonade flamande, c’est excessif. Je recommande désormais la dose zéro.
Il faudra donc que je refasse ça une quatrième fois avant de pouvoir affirmer que j’ai la méthode bien en main.
La dessus, je vais à l’enterrement d’un copain, et j’achèterai des fruits en rentrant. Le copain, c’est Ermanno, de Casale Popolo, qu’on appellait Maurizio. A force de nous engueuler, nous sommes devenus amis. C’était un type honnête, sérieux, serviable, intelligent et très curieux de tous les nouveaux gadgets qu’on invente pour les électriciens et leurs clients. J’adorais nos discussions accompagnées d’une ou deux bières fraiches en fin de journée sur la terrasse. Il me manquera, Maurizio, mon seul pote piémontais qui n’était pas tifoso de la Juve et qui ne votait pas pour Salvini et ses acolytes de la Lega Nord6, et qui osait même le dire!
La vie continue. Les carbonades ratées et la mort des copains n’y changera rien.
Notes
- A ceux qui pensent qu’on ne mélange pas la cuisine et la mémoire des amis, je dirais que dans la vie… c’est comme ça que ça se passe. On ne choisit pas les catégories. On fait la cuisine, et les gens meurent. C’est le second hommage que je rends à un ami. Le premier est sur ce lien. ↩︎
- A ma grande surprise, les dictionnaires français ne connaissent pas le mot. Comme pour le sterput, il faut avoir recours au Wiktionnaire. ↩︎
- J’achète ici au Piémont des spezzatini, mot que les dictionnaires traduisent généralement par ragoût ou blanquette. Cette traduction est incorrecte. Le spezzatino (de spezzare, découper, réduire en morceaux, parfois casser) est bien le morceau de viande qu’on utilise pour les ragoûts et blanquettes etc., mais ne désigne pas le plat terminé.Selon Ragoût et goulasch: les basiques, on utilise les viandes de boeuf suivantes: cou, filet d’épaule, couvert d’épaule, gras d’épaule, poitrine, flanc, tranche carrée, des viandes à fibres longues et riches en tissu conjonctif. Et quand on les coupe en morceaux, ça devient des spezzatini. ↩︎
- La notion de tartine n’est pas uniforme en Belgique. À l’ouest, pour les voisins des Chtis qui fransquillonnent parfois un peu, c’est une tranche de pain. Pour les Belges de l’est, c’est une tranche de pain enduite ou couverte de bonnes choses, à commencer par le beurre (couche 0, obligatoire) et ensuite de la couche 1 (facultative) composée de mayonnaise, moutarde, cassonade, beurre de cacahuètes etc. Seule la deuxième acception: est correcte. Ne dit-on pas tartiner une tranche de pain? Et la loi de Murphy? La tartine tombe toujours du côté beurré. Cependant, je m´interroge sur l’expression se beurrer une bonne tartine? Si la tartine est du pain-enduit-de-beurre, peut-on beurrer une tartine? Pour ma part, je me fais souvent des hyper-tartines composées de pain, mayonnaise, gouda, oeuf cuit dur (20 minutes de cuisson après le début de l’ébullition) et sel de céleri. Comment, on ne dit plus sel de céleri mais sel au celeri? Pourtant, je vois même des sites français qui disent sel de céleri. Le belge est décidément une langue compliquée. Et subtile! ↩︎
- Bill, mon chef de projet jamaicano-gallois à Dar es Salaam le savait bien. Il avait dans sa poche une petite boîte métallique avec des clous de girofle. Quand il revenait au bureau vers deux heures (nous travaillions jusque 2:30) après sa dose habituelle de bière au Konyagi, il me disait have a clove en sortant sa petite boîte. Parce que le clove occulte les effluves d’alcool! Have clove, en slang jamaicano-gallois de Tanzanie, ça veut dire: Fiche-moi la paix; je vais me reposer dans mon bureau. ↩︎
- Racistes et fascisants qui ne se reconnaissent ni racistes ni fascisants, air connu (voir mon lien de 2011).Le Nord italien a oublié qu’au début du XXème siècle, c’est eux qui ont alimenté la première vague d’émigration. Voir, en particulier, deux livres de Gian Antonio Stella, L’orda. Quando gli albanesi eravamo noi (Rizzoli, 2003) et Odissee. Italiani sulle rotte del sogno e del dolore, (Rizzoli, 2004). Les Piémontais partaient en Amérique, en France ou en Australie, tandis que les Vénitiens, encore plus démunis, émigraient même au Piémont! Mon ami Paolo Santacroce, Vénitien, me disait qu’avant la première guerre mondiale, la pellagre était courante à Venise (voir ce lien et celui-ci). Maintenant que le Nord italien est industrialisé et riche, les fans de la Lega a oublié qu’ils étaient les plus paumés en Italie il y a un peu plus d’un siècle. Mais ils n’ont pas que la mémoire qui flanche. Il y a aussi le coeur et l’intelligence! ↩︎
Je suis étonné que 5 feuilles de laurier soit une quantité acceptable !
Tartine (1): la vieille marraine de mon père était effarée que je mettais du beurre + de la banane + de la cassonade sur mon pain. Elle aurait trouvé normal de se contenter d’une couche (pendant la guerre c’était déjà pas mal, déjà d’avoir du pain…)
Tartine (2): comment faire voler un chat? Lui fixer une tartine à la confiture (sans préciser, le beurre est inclus ;-)) sur le dos et le lancer en air. Comme le chat retombe toujours sur ses pattes, et que la tartine à la confiture tombe toujours du côté confiture, le conflit est insoluble et le chat reste en lévitation.