Musique d’enfer au Paradis

Jérôme Bosch a peint le Jardin des Délices au tout début du XVIème siècle, en 1502 ou 1503.

opabinia

Un exemple typique de la faune des schistes de Burgess au Paradis

Le panneau de gauche représente le paradis. Dieu – très bien habillé, en rose [1] – y fait un brin de causette avec Adam et Ève, en compagnie d’un oiseau et d’un lézard tricéphales, plus un phoque, deux lapins, un canard qui lit un livre, quelques grenouilles (de bénitier?), un chien-kangourou et beaucoup d’autres bestioles à la taxonomie douteuse mais dont la parenté avec la Faune de Burgess (cambrienne, 550 millions d’années environ)me semble patente, en particulier Anomalocaris, Opabinia et Hallucigenia. Il s’agit de la faune typique du Paradis, ce qui n’étonnera personne, vu la grande antiquité de la scène. On ne manquera pas de noter que seul Dieu est habillé, et ce pour plusieurs excellentes raisons. D’abord, c’est lui le plus riche; ensuite, comme c’est lui le patron, il aurait été très impoli de le représenter de côté ou même de dos… avec la conséquence inévitable qu’il aurait fallu montrer son sexe, et là, l’art déborde sur la théologie, ce qui n’est pas son rôle, n’est-ce pas?

jardin-delices

Le jardin des délices

Le panneau central représente une scène psychédélique de Liliputiens multi-ethniques (les enfants d’Adam et Ève) où Bosch a aussi représenté certains de ses amis, dont Magritte, Hergé, Delvaux, Folon  et Ensor.

A droite, c’est l’enfer, comme toujours. La faune y est nettement moins amusante qu’au paradis. Le haut du panneau représente Mordor (qui signifie “pays noir” en sindarin) et après avoir traversé les marais du centre, nous arrivons dans le bas du panneau: le coin des plaisirs avec jeux et musique. L’interprétation traditionnelle du tableau voit le diable dans une espèce d’Horus avec un chaudron sur la tête, assis sur une chaise percée et qui mange des humains. Il les défèque ensuite à travers une bulle transparente.

On prend évidemment un risque, en tant que non musicien, à essayer de nommer les instruments : on voit des cornemuses, un rebec, une harpe, une vielle à roue, un tambour, un triangle. Pour les vents, c’est flutes et trompettes, un lapin qui souffle dans un cor, mais pas d’orgue [2].

Et puis, et puis… il y a la partition! Elle est écrite pour moitié sur un livre et pour moitié sur le postérieur d’un quidam coincé sous le rebec. Ces trois portées entières et deux demi-portées (écrites sur quatre lignes comme le chant grégorien) ont récemment été transcrites par quelques audacieux musiciens à qui la musique infernale ne fait pas peur.

bosch-detail

Musique sulfureuse [3]

Voilà ce que ça donne dans une version piano gentil et chez Männlicher Carcano((La version originale de ce billet avait en plus une version Métal et une autre Chorale. Mais elles n’ existent plus sur le web, cette collection éphémère de pensées caduques. Sic transit gloria mundi.)). Il y a même un titre (Butt-song from hell) et des paroles:

Butt song from hell
This is the butt song from hell
We sing from our asses while burning in purgatory
The butt song from hell
The butt song from hell
Butts

Evidemment, c’est moins chic que Carmina burana, mais c’est bien plus amusant! Mais ce qu’on retiendra surtout, au-delà de la musique, c’est que Jérôme Bosch était non seulement un spécialiste méconnu de la faune cambrienne, mais aussi l’inventeur de la peinture multi-média.

Notes

[1] Dieu s’habille souvent de rose. C’est dans la chanson du Petit Grégoire:

Mais, en apprenant la chose, Jésus se fâcha;
Entr’ouvrit son manteau rose pour qu’il s’y cachât

Voir ici pour écouter la version (1898) de Théodore Botrel

[2] Contrairement au saxophone, qui n’est pas mentionné ici par hasard, l’orgue existait depuis longtemps à l’époque.  Cliquez pour la représentation d’un orgue positif par un collègue de Bosch. L’orgue se représente entouré d’anges, et n’est donc pas compatible avec l’enfer.

[3] Parlant de soufre: on ne m’enlèvera pas de l’esprit que la partition sur les fesses est une allusion directe au méthane et aux composés organo-sulfurés dont l’odeur typique est celles des oeufs pourris, des égouts et de ces gaz instestinaux, qui sont tellement  dangereux pour le climat! Prophète, Bosch?

Sources

http://www.classicalite.com/articles/5978/20140217/600-year-old-butt-song-from-hell-in-hieronymus-boschs-the-garden-of-earthly-delights-transcribed-on-tumblr.htm

http://animalnewyork.com/2014/listen-hieronymus-boschs-butt-song-hell/

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Wergo
Wergo
1 year ago

Je me fais un commentaire à moi-même: Je suis “sur le cul”, en quelque sorte, parce que viens de tomber sur une info sur les collemboles. C’ est ici.

Ce n’ est pas vraiment l’info sur les collemboles qui me scie, c’ est le fait que les collemboles ont été désinsectisés et pancrustacisés. Les petits insectes blancs sauteurs que nous récoltions dans les feuilles mortes, c’ était pas des insectes! J’ ai aussi dans ma tête “Insectes = Hexapodes“. Ben, c’ est plus juste non plus. Les collemboles sont donc devenus des Pancrustacés, pan = tout. Les pancrustacés doivent être une espèce de catégorie fourre-tout.

Comment ça a pu m’ échapper? Evidemment, ce n’ est pas tous les jours qu’ on entend parler de collemboles… mais quand même, ce n’ est pas un groupe confidentiel comme les tardigrades!

C’ est vexant!