Tout doit disparaître!

Source de l’illustration ci-dessus et de l’onglet: Wallpaperaccess.

Je continue à lire cet excellent livre de Dorian Lynskey Everything Must Go: The Stories We Tell About the End of the World (Tout doit disparaître : Les histoires que nous racontons sur la fin du monde1). Lynskey est un journaliste et écrivain britannique et ce livre témoigne d’une culture étourdissante2. Je suis au chapitre 21 Too late (Trop tard) et j’avoue siroter ça chapitre par chapitre, parce que le contenu est dense, et pour que ça dure longtemps…

Cependant, je reconnais que je commence à avoir des doutes sur l’influence de ce bouquin sur mon moral. C’est que la Bombe atomique et la bombe H3, le cannibalisme généralisé dans lequel nous allons tomber parce que nous ne saurons plus produire assez pour nourrir la planète à partir de 19904, la pollution qui nous asphyxiera au plus tard à partir de 2000 (à peu près…), l’hiver nucléaire et/ou volcanique qui gèlera nos récoltes en 2010, les épidémies de 2020 etc (j’ai bien dit: etc) et même (Dieu me pardonne!) le changement climatique sont …autant de modes. Ces modes passent et se suivent. Elles se ressemblent, aussi. C’est à croire que, comme dans les Contes des frères Grimm, nous aimons nous faire peur.

Ces modes s’étendent de la littérature (de la SciFi à Nature, la revue scientifique par excellence5, et de la BD à Cambridge University Press6) à la politique (Elles ont contaminé d’une façon ou d’une autre Reagan, Carter, Bush…) et au business, y compris le cinéma, qui est à la fois un art et un business.

J’avoue que je trouve ça assez ahurissant, parce qu’on en vient à se demander qui a inventé quoi. On ose espérer que c’est la Science. Quelle que soit la réponse, la SF tient le haut du pavé pour ce qui est de son efficacité à promouvoir les idées.

Voici deux passages du chapitre 21, traduits par DeepL et quelque peu modifiés. Toutes les notes sont de Wergosum.

1. La crise climatique

L’expression « crise climatique » est apparue pour la première fois en 1981. L’urgence climatique a suivi en 1989, lorsqu’un nombre record d’Américains (79%) a déclaré avoir une certaine connaissance de l’effet de serre. En 1990, le GIEC a publié son premier rapport et une nouvelle génération d’activistes a mobilisé 200 millions de personnes dans le monde entier pour la plus grande Journée de la Terre jamais organisée. En 1992, les dirigeants mondiaux ont signé à Rio de Janeiro la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, importante mais non contraignante. Cette période, cependant, est une percée qui est tombée à plat. En 2014, les écrivains scientifiques Naomi Oreskes et Erik M. Conway publient The Collapse of Western Civilization : A View from the Future, a Wellsian7 future history (L’effondrement de la civilisation occidentale : un regard sur l’avenir à la manière de Wells), dans lequel un historien de 2393 identifie le faux départ de 1988 comme le début de la « période de la pénombre », pendant laquelle la prise de conscience n’a pas été suivie de mesures concrètes en raison de « l’ombre de l’anti-intellectualisme ».

2. Le déni du climat8

Le terme « négationnisme climatique » a été créé en 1996. Soyons généreux un instant et faisons la supposition que les principaux négateurs ne mentaient pas simplement pour gagner de l’influence, de l’attention et de l’argent provenant de l’industrie pétrolière. Tout d’abord, ils étaient des faucons de la guerre froide : la salle des machines du négationnisme climatique, l’Institut George C. Marshall, avait été fondée en 1984 pour défendre l’Initiative de défense stratégique de Reagan et démystifier la théorie de l’hiver nucléaire. Ils étaient également des fondamentalistes du Libre marché qui considéraient la réglementation environnementale comme du socialisme déguisé, et des technophiles qui considéraient les écologistes comme des luddites zélés, fabriquant des crises pour servir leurs programmes politiques radicaux. James G. Watt, secrétaire à l’intérieur de Reagan, a décrit l’environnementalisme comme « une secte de gauche destinée à faire tomber le type de gouvernement auquel je crois ». Pour des gens comme eux, le déni était une nécessité psychologique pour résoudre la dissonance cognitive entre leur foi cornucopienne dans la croissance et les preuves de la science climatique dominante. Julian Simon était un vendeur et son produit était un avenir radieux : pourquoi ce visage allongé ? Dès qu’une catastrophe annoncée ne se produit pas, les prophètes de malheur passent à une autre”, se plaignait-il en 1990. Pourquoi les prophètes de malheur ne voient-ils pas que, dans l’ensemble, les choses s’améliorent? Pourquoi pensent-ils toujours que nous sommes à un tournant ou au bout du chemin?

Dans la lignée d’Herman Kahn et d’Edward Teller, les négationnistes se sont présentés comme fièrement anti-apocalyptiques, d’où des groupes tels que le Committee for a Constructive Tomorrow et des livres tels que celui de Ronald Bailey: Eco-Scam, the False Prophets of Ecological Apocalypse. Pour eux, le refus du néo-malthusianisme et de la théorie du refroidissement9 dans les années 1970 a prouvé que toutes les alertes désastreuses pouvaient être rejetées en toute sécurité comme étant de l’alarmisme. Ainsi, l’hyperbole oratoire de personnes comme Paul Ehrlich10 et Carl Sagan11, si efficace à court terme, est devenue une arme à utiliser contre des voix beaucoup plus modérées.

Dans son livre Climate of Fear : Why We Shouldn’t Worry About Global Warming (Le climat de la peur : pourquoi nous ne devrions pas nous inquiéter du réchauffement de la planète) publié en 1998, l’économiste conservateur Thomas Gale Moore a utilisé des termes tels que “hystérie”, “alarmisme” et “prophètes de malheur” pour dénigrer le consensus scientifique. En 2003, le sénateur Inhofe a appelé le Congrès à « rejeter les prophètes de malheur qui colportent de la propagande déguisée en science au nom de la nécessité de sauver la planète d’un désastre catastrophique ». Pourtant, les scientifiques eux-mêmes ont fait preuve d’une grande sobriété. Lorsque le député négationniste Dana Rohrabacher les a accusés d’exagération lors d’une audition à la Chambre des représentants en 1995, le scientifique de la Maison Blanche Robert Watson12 a répondu avec humour : « Les évaluations internationales n’utilisent pas le mot apocalypse ». Le texte anti-apocalyptique par excellence du négationnisme climatique est L’État de la peur, publié en 2004, un tour de force de Michael Crichton, auteur de best-sellers pseudo-scientifiques tels que Jurassic Park et La souche d’Andromède.

Le méchant, Nicholas Drake, dirige NERF, une association environnementale à but non lucratif qui a besoin d’obtenir des fonds; “le réchauffement de la planète n’y suffit pas. La pollution effraie les gens”, se plaint-il. “Vous leur dites qu’ils vont avoir le cancer, et l’argent afflue”. “Mais personne n’a peur d’un petit réchauffement. Surtout s’il ne se produit pas avant une centaine d’années”. Son responsable des relations publiques a un plan diabolique : NERF financera secrètement des éco-terroristes pour mettre en scène des catastrophes « naturelles » qui feront croire aux gens que le réchauffement climatique est à l’origine d’événements météorologiques extrêmes. Enfin un succès ! En couverture du Time, on peut lire : « Climate Change Doomsday Ahead » (« Le changement climatique, c’est l’apocalypse »). Crichton projette sur ses ennemis sa propre propension à décider d’un récit et à chercher ensuite les preuves qui l’étayent. Le professeur Norman Hoffman, un Cornucopien très tendu qui s’écrie « Les fausses peurs sont un fléau, un fléau moderne », fait l’anatomie de l’intrigue générale.

Avant 1989, explique Hoffman, les médias n’utilisaient pas souvent des termes tels que « crise, catastrophe, cataclysme, fléau ou désastre ». Une fois le dragon soviétique abattu, cependant, ce langage s’est répandu : “La chute du mur de Berlin a créé un vide de peur. Or la nature a horreur du vide. Il fallait bien que quelque chose le remplisse”.

L’une de ces choses était l’effet de serre. Aujourd’hui, s’insurge-t-il, des citoyens inquiets sont « convaincus que l’environnement de la planète entière est en train de se détruire autour d’eux ». Remarquable ! Comme la croyance en la sorcellerie, il s’agit d’un délire extraordinaire, d’un fantasme global digne du Moyen-Âge. Tout va à vau-l’eau et nous devons tous vivre dans la peur”. Comme le rapace Once-ler dans The Lorax, « Tout ce que vous faites, c’est jacasser et dire : »Mauvais ! Mauvais ! Mauvais ! Mauvais !”. En cours de route, Crichton s’en prend au GIEC, aux écologistes d’Hollywood, au politiquement correct, aux interdictions de fumer, à la théorie de l’hiver nucléaire, aux néo-malthusiens, aux énergies renouvelables et à Rachel Carson, étayant sa paranoïa par d’innombrables graphiques, annexes et notes de bas de page.

Dans une annexe outrageuse, il décrit l’eugénisme comme une leçon qui donne à réfléchir sur les dangers d’une pseudo-science politisée : “Je ne prétends pas que le réchauffement climatique est la même chose que l’eugénisme. Mais les similitudes ne sont pas superficielles”. Le président George W. Bush a invité Crichton à une réunion secrète dans le bureau ovale et aurait été « presque totalement d’accord avec lui». Le roman le plus lu sur le réchauffement climatique était donc un roman qui insistait sur le fait qu’il n’était pas réel et que ceux qui affirmaient le contraire étaient soit des imbéciles, soit des escrocs, soit des fanatiques.

Où était le contre-argument ? Les défenseurs du climat se sont plaints que les auteurs de fiction, traditionnellement si doués pour mettre en scène les périls existentiels, avaient laissé leurs sirènes se taire. Le réchauffement climatique n’a toujours pas produit un Orwell ou un Huxley, un Verne ou un Wells, un Nineteen Eighty-Four ou un War of the Worlds, ni au cinéma l’équivalent de On the Beach ou de Doctor Strangelove“, écrivait Bill McKibben en 2003. Il se peut qu’il n’y en ait jamais. Il se peut que, parce que – croisons les doigts – nous avons échappé à notre peur la plus récente, l’anéantissement nucléaire par le biais de la guerre froide, nous résistions à avoir peur à nouveau. La peur a son utilité, mais la peur à cette échelle semble être invalidante, paralysante”.

Nous avons atteint la fin des deux passages extraits du chapitre 21. Si quelqu’un m’a suivi jusqu’ici, il aura noté le paragraphe qui cite The Collapse of Western Civilization: A View from the Future, a Wellsian future history par Naomi Oreskes (Historienne des Sciences de Harvard puis université de Californie) and Erik M. Conway (NASA). D’abord on note que Le déclin de l’Occident (1918) a fait beaucoup de petits, mais que Spengler était forcément un peu coincé par rapport au goût de 2025. Le bouquin de Oreskes et Conway est plus original: deux historiens du futur racontent en 2393 comment on en est arrivé là. Il se fait que le bouquin complet est disponible en version pdf. Allez voir ça!

Notes

  1. Toutes les traductions de ce billet ont été faites par DeepL, et “subséquemment” modifiées si necessaire. ↩︎
  2. Voici ce que dit une des recensions de ce bouquin: I was blown away by this book. The staggering range of references, the razor-sharp analysis, the wisdom, left me gasping out loud at times. Lynskey also manages to make a book about the end of the world feel . . . hopeful. One of the best non-fiction writers around (Sathnam Sanghera, author of Empireland). C’est tout à fait mon avis. Bien que le genre soit différent, l’érudition “naturelle” me fait souvent pense à Unberto Eco. ↩︎
  3. J’ai appris dans ce bouquin l’existence – dans la fiction seulement – de la bombe au Cobalt. Il ne s’agit pas de ce dispositif médical qui produit des rayons gamma, mais d’une bombe atomique “épicée” au cobalt et destinée à produires d’abondante retombées radioactives. Une bombe qui serait particulièrement sale, mais à dessein. L’inventeur en est, excusez du peu, Leó Szilárd, celui-là même de la lettre d’Einstein à Roosevelt pour le convaincre de développer la bombe atomique. En 1947, Szilárd était tellement dégoûté du rôle qu’il a joué dans le développement de la Bombe qu’il est devenu … biologiste! ↩︎
  4. Toutes ces dates sont inventées. Il faudrait relire les différents chapitres, mais ceci est un billet rapide! ↩︎
  5. Je parle de la revue, pas de l’infect Springer lui-même. ↩︎
  6. Où j’ai même publié quelques machins. ↩︎
  7. Wellsian: qui se refère à H.G. Wells. Wells est très connu pour La guerre des mondes et autres ouvres de Science Fiction mais il a aussi écrit une histoire mondiale en deux volumes, The outline of history (Les grandes lignes de l’histoire), apparemment non traduit. Le texte original complet est disponible en ligne. ↩︎
  8. Plus correctement: Le déni du changement climatique ou Le négationnisme climatique. ↩︎
  9. Le Refroidissement global était la théorie qui a dominé la scène avant le Réchauffement global. ↩︎
  10. Le ténor incontesté du “désastre de la surpopulation”, auteur du concept de la Bombe P. ↩︎
  11. Carl Sagan était une star scientifique et un des champions de l’hiver nucéaire. ↩︎
  12. Bob Watson, Britannique, est devenu par la suite (1997 à 2002) le président du GIEC, un homme à poigne et un homme de conviction. Sa page Wikipedia mentionne En avril 2002, les États-Unis ont insisté pour qu’il soit remplacé par Rajendra Pachauri à la présidence du GIEC, ce qu’ils ont obtenu. Selon New Scientist, « l’industrie pétrolière semble être à l’origine de cette décision… ce qui a été amplement démontré depuis. ↩︎

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