[Cet article a été écrit dans le sillage d’un cours que j’ai donné en 2009 à l’université de L., et dont je suis revenu catastrophé par l’ignorance et le manque de culture des étudiants.]
La première version de cet article n’a pas plu à E. Elle l’a trouvé prétentieux, arrogant et méchant, voire haineux pour les étudiants de L., qui ne méritent pas l’accusation d’ignorance que je leur fais: leur culture est différente de la tienne, dit-elle, mais elle n’est pas inférieure. Elle m’a demandé si je connaissais U2 et Simple Minds: j’ai entendu parler de U2, mais tout juste; je connais un duo de Pavarotti et de Bono, mais pour Simple Minds, je note l’allusion, mais j’avoue que je n’en ai jamais entendu parler. E. pense aussi que le fait d’écrire un blog pour être lu conduit à forcer un peu la dose… je parlerais de “tentation blogalitaire”, si j’osais. E. pense que, en réalité, je suis plus gentil que dans cet article… ce qui n’est pas nécessairement vrai. Disons aussi que “être lu” doit être relativisé, étant donné que ce blog est privé et qu’il en tout et pour tout une vingtaine de lecteurs (c’est le nombre de personnes qui connaissent l’adresse du blog, mais ça ne veut pas dire qu’ils le lisent.)
Revoici donc le corps du délit, mais dans une version plus soft, où je n’accuse plus personne de ne pas savoir un certain nombre de choses… Je pense, par contre, que les conclusions restent valables: la culture existe, elle est nécessaire au scientifique dans la mesure où elle lui permet (1) de placer ses connaissances dans un cadre plus vaste (parce que la connaissance est dans les liens, la structure, au moins autant que dans les “faits”), et (2) dêtre plus efficace pour ceux qui interagissent avec le monde réel.
Or donc, je disais dans la première version de cet article que j’ai donné un petit cours de deux jours sur la sécurité alimentaire et les systèmes d’alerte à un groupe de neufs étudiants d’un mastère complémentaire à l’université de L. Pendant ce cours, j’ai fait quelques observations qui m’ont scié, et que je donne ici avec la plus grande objectivité (ah, toujours cette tentation blogalitaire…). Notez que ce n’est pas la première fois que je fais ces observations, mais c’est la première fois que je me donne la peine d’écrire quelque chose sur le sujet!
(1) Dans le hall devant l’amphi, une affiche annonçait une conférence de Mark Eyskens sur le thème de La crise du Globalistan. Comme je trouvais le sujet intéressant et que j’en parlais avec une étudiante (belge) pendant la pause, j’ai eu la surprise de découvrir qu’elle ne connaissait ni Mark Eyskens, ni son père Gaston, pourtant l’un et l’autre politiciens belges de premier plan. Comme je m’en étonnais, elle s’est justifiée en disant “mais je suis jeune!” Ici, la version hard de l’article se demandait si la jeunesse est, dans ce cas, une excuse ou une circonstance atténuante? La présente version soft ne se pose plus ce genre de questions.
(2) Pendant le cours, j’ai mentionné la situation alimentaire au Soudan, exprimant l’opinion que la paix signée par Khartoum avec le Sud du pays était tactique. Comme il est difficile de gérer deux ennemis (Darfour et le Sud) qui ont par ailleurs une frontière commune, il convient d’en neutraliser un, quitte à reprendre les hostilités une fois que les problèmes avec l’autre sont réglés. J’ai précisé que cette stratégie est dans Le Prince de Machiavel. Personne ne connaissait Michiavel, ni son Prince.
(3) J’ai aussi parlé de la situation alimentaire dans le futur, et du futur en général, futur qui devrait intéresser les jeunes plus que le passé, puisqu’ils vont y passer la plus grande partie de leur vie. J’ai mentionné Lem et Toffler, Atlan et Orwell. Les trois premiers sont moins connus qu’Orwell, je l’admets, mais les étudiants ne connaissaient ni Orwell ni 1984 (j’ai oublié de demander s’ils avaient entendu l’expression Big Brother. J’ai aussi parlé de Jacques Attali et de sa Brève Histoire de l’Avenir, publiée en 2008. Ils n’ont jamais entendu parler d’Attali.
(4) J’ai montré une série de rendements du blé en Roumanie et au Kirghizstan, qui diminuent après 1989 suite à l’écroulement des états socialistes et de l’URSS. Question: que s’est-il passé en 1989-91 qui pourrait expliquer cette diminution? Personne ne le savait, alors que nous étions deux jours après la commémoration du 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin, qui a fait l’objet d’un battage médiatique énorme. Il n’est pas impossible qu’ils aient vu tomber les dominos à la télé, mais ils n’ont pas fait le rapprochement avec le Kirghizstan, ce que je peux encore comprendre, mais la Roumanie?
(5) Pour illustrer une des “lois” d’Attali (Le vainqueur de toute guerre est celui qui ne la fait pas ou pas sur son territoire), j’ai demandé qui a gagné la guerre du Vietnam. J’attendais comme réponse “les Vietnamiens”, pour leur dire, en forme de boutade, que la guerre a été gagnée par le Japon, qui domine les importations locales. C’est le risque des feintes préparées à l´avance: certains ont entendu parler de la Guerre, mais personne ne sait au juste qui l’a gagnée.
(6) Aucun des étudiants n’avait entendu parler du concept de la “croissance zéro.”
(7) Encore un exemple, pour ne pas mettre tout le poids sur ces pauvres étudiants de L.: j’ai illustré, il y deux ou trois ans un cours à V. sur les “hotspots” par des peintures des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse (la faim, la guerre, la pestilence et la mort), toujours d’actualité dans pas mal de coins du monde, dont l’Afrique centrale avec le sinistre cortège de la guerre dans la région des Grands Lacs, la manutrition, le SIDA… Personne ne s’est demandé pourquoi ces tableaux illustraient le cours : une seule étudiante sur une trentaine avait reconnu les cavaliers, y compris le pourquoi de ceux-ci.
(8) Pour revenir à L., j’inclus un petit graphe relatif aux statistiques du blé à Madagascar, en pensant à l’étudiante malgache (physicienne de formation) qui ne savait pas que cette céréale est cultivée dans sa grande île. Il est, bien entendu tout à fait excusable de ne pas savoir que les ‘Hautes Terres’ (zone de Vakinankaratra) cultivent un peu de blé, et que la culture est d’ailleurs en régression pour des raisons économiques. Un expert, que j’ai consulté sur le sujet, me signale que l’avoine aussi est cultivée dans ces zones, y compris autour du Lac d’Aloatra. Mais quand l’étudiant met en doute une carte indiquant les zones de culture, nous frôlons l’ignorance militante, voire le militantisme ignorantiste!
Je me pose vraiment des questions sur le niveau culturel des étudiants. Puisque je suis dans la version soft, et que je ne suis pas juge, je ne perds pas de temps à porter un jugement dans un sens ou dans l’autre.
E. a-t-elle raison quand elle suggère qu’il y a simplement un fossé de près de deux générations entre eux et moi? Je ne crois pas. Le fossé n’est pas qu’un fossé de générations. Je pense, d’abord, que certains noms, certains concepts font partie du background de connaissances générales, sans même parler de connaissances scientifiques (pour des étudiants en sciences!) et sans parler de culture-en-général. Je crois que Machiavel, Orwell et le Vietnam font partie de ce fond, de ce qu’on a entendu au moins une fois à l’école secondaire. J’admets que la culture varie énormément en fonction des personnes, de leur âge, de leur origine géographique, de leurs intérêts, etc., mais ce que ces personnes “cultivées” ont en commun est une certaine forme de curiosité qui leur permet de faire le rapprochement entre les rendements du blé en Roumanie et la chute du mur de Berlin.
Je disais aussi, dans la version hard, que j’avais ressorti de ma bibliothèque un petit Aide-Mémoire Dunod de Mathématiques Générales (M. Denis-Papin, 1966, Tomes I et II) qui m’a beaucoup servi lors de mes études. Je voulais retrouver une citation où certains ingénieurs sont qualifiés de contremaîtres déguisés. Je rassure E.: il ne s’agit pas d’un artifice littéraire: j’ai réellement cherché le livre, et je l’ai trouvé, ce qui est plus rare – vu l’état de désordre des étagères. –
Déjà à l’époque, j’avais beaucoup aimé l’avertissement de Denis-Papin qui affirme que, comme le latin et l’histoire, les mathématiques sont une des plus belles créations de l’imagination humaine, et qu’elles doivent faire partie de la culture. C’est dans ce même avertissement que Denis-Papin parle de l’importance pour les ingénieurs d’éviter l’empirisme de seconde zone, qui proscrit les vues générales et s’oppose à l’avancement de la science et même de la technique: c’est l’apanage des ingénieurs non mathématiciens, sortes de contremaîtres déguisés.
Je pense que la plupart des étudiants de L. que j’ai eu cette année sont, à leur manière, des contremaîtres déguisés. Je ne perds pas mon temps à évaluer les différences entre la culture des uns et de l’autre, mais je ne vois aucune raison de donner aux “jeunes” en question le bénéfice du doute? Est-ce que je pratique, comme dit Cédric, le “dinosaurisme militant”? Je ne suis pas sûr à 100% ce qu’il entend par là, mais je suppose qu’il veut dire que mon approche, mes attentes et sans doute ma culture sont anachroniques. Va donc pour le dinosaurisme, mais je maintiens que beaucoup de ces jeunes sont des empiristes de seconde zone. Un scientifique qui a la prétention de connaître le monde, voire de l’influencer, ferait bien d’étendre sa culture et de commencer à comprendre les liens qui existent entre les diverses branches de la connaissance. Et de comprendre que la perception de ces liens lui permettra d’être plus efficace, plus ouvert dans son travail “technicien” (je n’ai pas dit “de technicien”), d’être un scientifique au lieu d’un contremaître.
Quant à moi, je continue à ruminer: je suis un dinosaure, et je vais continuer à faire semblant que je ne le sais pas! J’en tire aussi la leçon suivante: il est probable que la moitié de ce que disent les professeurs passe loin au-dessus de la tête de la moitié des étudiants au moins, et que l’autre moitié comprend bien moins que ce que pensent la moitié des professeurs… De temps à autre, je me rends compte que s’ils ne comprennent pas, c’est parce que nous sommes tous le produit de notre environnement socio-culturel. L’expérience de l’étudiant européen lui dit que si le betteravier de Waremme perd sa récolte, il n’en mourra pas! Comment l’étudiant saurait-il que la plus grande partie des agriculteurs (au niveau de la planète) cultivent pour se nourrir eux-mêmes et leur famille (agriculture de subsistance), et qu’une récolte perdue est pour eux une catastrophe? Je pense aussi que notre (paresseuse) habitude d’utiliser des présentations PowerPoint ne remplace pas un bon vieux syllabus, qui donne des détails supplémentaires de manière explicite, auquel on peut revenir (si tant est qu’on en ait envie) et qui permet peut-être d´écouter mieux pendant les cours… Et peut-être un jour une nouvelle génération de jeunes percevra-t-elle les différences entre comprendre et connaître, la connaissance passive et la connaissance active, les rapports entre les connaissances et le mode réel? Je touche probablement ici le coeur du problème: tous ces jeunes sont déconnectés du monde réel, malgré internet, malgré Erasmus, malgré IPCC (pardon: le GIEC)… Ou faut-il dire ces jeunes sont déconnectés du monde de la réalité vraie à cause d’internet et de la réalité virtuelle, à cause d’Erasmus qui n’est que la suite logique de ce monde où tout tombe du ciel, et malgré IPCC et les arguties interminables qui évitent de s’attaquer là où ça fait mal, à savoir notre mode vie “à l’occidentale”?
Pour terminer, je voudrais donner libre cours à mon lyrisme: j’imagine un monde où les professeurs et leur enseignement ont pour mission de faire passer les étudiants de l’etat A à l’état B, de l’état de contremaître déguisé à celui de Scientifique. Il faut sans doute un déclencheur (voir l’article sur les tipping points!), mais je suppose que cela se produit de temps en temps. Dans cette optique, l’enseignement est une activité certes très noble, mais quand je considère le nombre de professeurs et d’heures de cours qu’ont déjà subi mes étudiants, je me dis que l’efficacité de l’enseignement est à revoir.
Voir aussi Jacques_wikipedia et les commentaires.
PS, parce qu’on ne sait jamais…
(1) Le mot ignorantiste existe!
(2) Je suis avec quelque attention la littérature sur les dinosaures, leur homéothermie (au moins pour les plus grands d’entre eux), la question des plumes qui semblent avoir précédé le vol (c’est bien l’organe qui crée la fonction, ici en tout cas!), et la viviparité probable de certains… mais quand j’ai dit “je continue à ruminer: je suis un dinosaure”, je n’entends pas affirmer les dinosaures étaient des ruminants!
(3) La phrase il est probable que la moitié de ce que disent les professeurs passe loin au-dessus de la tête de la moitié des étudiants au moins, et que l’autre moitié comprend bien moins que ce que pensent la moitié des professeurs… est une tentative d’humour calquée sur le discours d’adieu de Bilbon au chapitre premier du Seigneur des Anneaux: Je ne connais pas la moitié d’entre vous autant que je le voudrais, et j’aime moins que la moitié d’entre vous à moitié aussi bien que vous le méritez.
Ce que tu écris René, nous ramène tous à l’époque où l’éducation ne se concevait pas sans l’apprentissage de la philosophie. Nos enfants ne sont que le fruit de notre éducation après tout. C’est nous qui leur apprenons que l’époque actuelle est celle de la compétition et de la vitesse. Les jeunes n’ont plus le temps de lire, ils doivent aller vite, à la vitesse d’internet! C’est tout le projet de société actuel qu’il faut remettre en cause.
Riad
Ne me fais pas croire que tu ne te savais pas dinosaure; ton blog témoigne d’ailleurs d’une forme militante de dinosaurisme.
Tout protégé que soit ton environnement professionnel, ça ne t’empeche pas de croiser des gens qui croient que le flux d’eau dans les plantes est dirigé du haut vers le bas. Ce qui ne les empeche d’ailleurs pas de combattre la faim dans le monde.
Je crois que si tu ouvrais plus les yeux, tu te découvrirais entouré de gens du même niveau que les étudiants de L.
A moi d’être dinosaure: mesure ton idiosyncrasie à l’aune du nombre de tes amis.
A+
D’accord, je l’admets: je savais que je suis un dinosaure. Mais les dinosaures ont-ils un devoir de dissémination du dinosaurisme, ou bien devraient-ils se contenter de serrer leur mandibule contre leur maxillaire supérieur et de s’éteindre… en ruminant? Ce qui me dérange, ce n’est pas tant “l’ignorance” que le fait de ne pas se douter qu’il y a quelque chose au-delà des connaissances immédiates. A ce propos: tu seras ravi d’apprendre que le désintéressement pour les études scientifiques et techniques a gagné l’Inde.
Le manque d’imagination est la mère de toutes les ignorances. C’est aussi la mère de la confiance en soi, de l’action, et donc du progrès.
Alors ça, c’est très pessimiste (au mieux) ou alors très très très simpliste. Dans une “retraite” à laquelle j’ai participé avant hier, Greg, le gentil organisateur, a dit qu’il y a trois genres de personnes: ceux qui “make it happen”, ceux qui “watch it happen” et ceux qui demandent “did something happen”?
Choisis ton camp, camarade!
A la relecture de ton texte modifié, on se dit avec Delphine que c’est Riad qui a raison. Les jeunes refletent les ideaux de la société ou ils vivent.
Reflechir en profondeur, voir à long terme, imaginer, etc n’est pas valorisé socialement le moins du monde. On attend des gens d’etre rentables à court terme, quitte a etre des bricoleurs ou des plombiers déguisés. Delphine qui évolue dans un monde dont je suis protégé ne sait que trop bien que ce qu’on attend d’elle c’est de rapporter du fric. Et dans l’idée qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
La grosse différence avec “ton temps” est sans doute la pression de l’économie. De ton temps tout le monde avait un boulot. Comme ce n’est plus le cas, on croit que le role de l’univ est de former les gens pour les entreprises, et pas pour se développer eux-memes.
L’université devrait lutter contre cette attente sociale. Mais dis-toi aussi que si les étudiants s’étonnent de ta bizarrerie, c’est qu’ils n’ont jamais vu de prof comme toi. Ca veut certainement dire qu’ils sont a l’image des profs qu’ils ont eus.
A+
C et D
En passant, tu crois que monsieur Papin aimait vraiment madame Denis? Ou il a simplement cherché à ce que son fils ait le nom de l’inventeur de la machine à vapeur?
Effectivement, c’est Riad qui a raison! Le cœur du problème, c’est notre approche utilitaire de la connaissance, qui est liée au fait que nos fonctions sociales (plombier, médecin, postier, chanteur) demandent des connaissances spécifiques, et souvent limitées. Le plombier doit connaitre les tuyaux en plomb, cuivre, PVC, etc. Je ne suis pas plombier, mais je crois que le métier est assez bien défini. Par contre, pour le Master complémentaire en sciences et gestion de l’environnement dans les pays en développement, le métier est un peu plus flou… Y’a qu’à (la fameuse méthode yaka!) regarder la liste des cours (http://progcours.ulg.ac.be/cocoon/programmes/RHENVI02.html#ENVT2028-1) pour voir qu’on a fait avec ce qu’on a, forcément – dont votre serviteur -. C’est précisément pour ces métiers les plus flous que l’étudiant devrait avoir une ouverture d’esprit particulière: il ne sait pas à quoi il s’attend, et il est plus que probable que la formation sera à côté de la plaque.
Il faudrait que les gamins s’amusent à l’ecole, qu’ils se marrent en apprenant le calcul, qu’ils s’emerveillent – comme le vieux Tolkien, quand il était jeune – des finesses du gothique! On en est loin. Et pour commencer, il faudrait cesser de former des enseignants au rabais, des contremaîtres déguisés! Combien pour un instit au Nouveau Royaume de Belgique Fédérale? Un an, deux? Il a toujours existé des instituteurs passionnés. Je me demande si les élèves de Roger Greisch, peintre de renom (http://www.goeast.be/spuren/ourener.html) ou ceux de Emil Gennen (http://www.krautgarten.be/kg54/s.71_2.pdf) sont “différents” de ceux des villages qui ont eu un instituteur quelconque… Nous entrons dans le domaine du vérifiable.
A propos de Denis-Papin: je pourrais répondre que, ce que Mme Denis-Papin aimait par dessus tout, c’est quand elle jouait au train électrique (à vapeur) avec son mari. Elle adorait toutes ces petites pièces, et prenait un plaisir à lubrifier les bielles motrices de sa petite burette miniature (http://fr.wikipedia.org/wiki/Composants_d%27une_locomotive_%C3%A0_vapeur.) Mais la triste réalité, c’est que je n’en sais rien.
Assez curieusement, à part des cours de math, la toile ne se souvient pas de Monsieur Maurice. Sa vie, son oeuvre, ses descendants probables, sa passion pour Lully l’Italien et, qui sait, son amour immodéré du rosé: tous passés aux oubliettes! Par contre, il existe plusieurs lieux-dits Denis-Papin, notamment à Echirolles, former industrial village; the majority of its inhabitants worked in the viscose factories, a fabric which was invented in Échirolles in 1884 by French scientist and industrial Hilaire de Chardonnet, before becoming universally famous (la viscose, pas Hilaire!). On y trouve aussi (20091229) un des plus grands cinémas de l’agglomération (i.e. Grenoble), un bowling, deux restaurants fast-food, une lignée de restauration rapide asiatique ou divers, un lycée et autres services publics. Pauvre Denis-Papin. Nous ne pouvons que réfléchir à ce qu’il adviendra de nous, qui n’avons pas écrit de livres de mathématiques avec le lieutenant-colonel Kaufmann, ni inventé la viscose, ni peint les tableaux de Roger Greisch ou écrit les poèmes de Emil Gennen. Sic transit… avec mes excuses pour une citation incomplète dans une langue anachronique.
Tout bien réfléchi, je crois plutôt que c’est Monsieur Denis qui a épousé Melle Papin!
Je comprend parfaitement ta peur, René ainsi que celle de tous les parents (moi y compris). Nos enfants se transforment en zombis ambulants, n’ayant aucune prise sur le vivant. Je me demande si mes enfants auront l’esprit critique suffisant pour résister à la propagande ambiante, surtout à notre l’époque actuelle d’informations contrôlées et à saturation. Les jeunes paraissent tous formatés dans un sens que seuls les médias semblent maitriser (et les groupes financiers qui les achètent). Non seulement ces jeunes ne savent pas ce qui se passe ailleurs dans le monde, mais ils ne savent même pas ce qui se passe chez eux! J’ai un plaisir immense à regarder la télévision Française et Belge grâce au satellite. Ca me permet d’accéder à une autre culture. Ca me permet aussi de vérifier aussi des informations que je reçois sur les télévisions arabes (et vice versa). Combien de jeunes en Europe peuvent se targuer de comprendre plusieurs langues ?
Pour paraphraser Descartes, on pourrait dire que “l’ignorance est la chose du monde la mieux partagée”. Lors de mon premier poste aux Nations unies à Bangkok, je dus partager le bureau d’un chinois un peu plus âgé que moi. Au début, les relations furent un peu délicates, plein d’enthousiasme je voulais montrer que je savais des choses sur l’Asie et que je voulais apprendre… Sa réaction fut poliment négative. Un jour, je ne sais pas comment cela se produisit, mais nous eûmes l’idée de faire un concours d’ignorance réciproque: cite moi cinq poètes de la Dynastie Tang, etc. Au bout d’une dizaine de questions, notre score était près de zéro partout! A partir de ce moment il n’y eut plus aucun besoin de paraître, nous sommes devenus des amis très proches et d’excellents enseignants l’un pour l’autre. Il me semble que jusqu’à notre génération Néandertalienne la culture était transmise verticalement vers les plus jeunes. Cette forme de reproduction sociale a été largement détruite et remplacée par des strates culturelles idiosyncratiques à chaque génération… Il est donc difficile de s’entendre et de se respecter. Quant à ceux qui savent tout, mais comprennent peu, j’aime bien l’expression allemande ‘Fachidiot’!
Bon, c’est sûr qu’il y a autant de cultures que d’individus … à moitié cultivés, et à peu près exactement le même même nombre de formes d’ignorance… mais n’y a-t-il pas de base commune? Ton collègue chinois avait-il entendu parler de Machiavel? Probablement pas (bien qu’il existe un “Machiavel chinois” … sur internet, et que Machiavel, le vrai, ait été traduit en chinois… Je ne sais pas exactement pourquoi c’est cette année que j’ai “découvert” ce “fossé dinosaurien”! Il doit exister au moins depuis que je donne une variante de ce cours (1994). Peut-être étaient-ils particulièrement amorphes cette année, ce qui m’a poussé à creuser un peu sur le Vietnam… ou l’écroulement des régimes de l’est? Bref, pour ma part, j’ai décidé d’assumer mon dinosauritude: je ne fais plus de cadeaux. Le premier devoir qui m’a été remis sur le thème “la sécurité alimentaire aujourd’hui et demain” comprend ce texte: “le général rebelle Johnson a organisé la famine de plus de quarante mille personne afin de les soumettre par la terreur et de capter l’aide internationale envoyée pour soutenir les population”. Un peu plus loin, on trouve:”On sait que l’évolution des comportements alimentaires aura un impact sur les besoins futurs en matières premières agricoles et si le blé, le riz et le maïs, avec d’autre céréales, restent la principale composante des régimes alimentaires”. L’un et l’autre proviennent en droite ligne d’internet, comme on peut facilement le vérifier, et ce, sans indication de la source. J’avais dit «le plagiat vaut zéro », mais ils ne comprennent apparemment pas le français non plus. Il est décidément temps que j’arrête de donner ce cours, et que je laisse aux professionnels (haha!) le plaisir de gérer ces études dont le niveau m’échappe!
D’un vieux à un moins vieux puisque nous sommes dans le domaine du relatif: je pense que tu en as tout simplement assez de faire ce cours! Probablement, mon ami chinois ne connaissait pas Machiavel, mais maintenant, il le connait certainement, probablement parceque son horizon s’est élargi ou tout simplement parcequ’on en a.On peut ainsi voir se former des socles communs de connaissances qui une fois digérées donnent ce qu’on appelle communément un “homme cultivé”, mais il en émerge ainsi quantité de cultures. Les personnes appartenant à une culture se considèrent comme “cultivées” à l’intérieur de leur culture: U2, Bob Marley ou Machiavel… En ce sens, dans la France du XXème il y avait “une” seule culture bien paramétrée, maintenant c’est terminé et un jeune du 93 se sent sans doute plus proche d’un jeune de Caracas que de moi car ils partagent de nombreuses références culturelles. J’ai, à mon petit niveau, vraiment vu comment, en France, ‘ma’ culture disparaissait: ayant fait du grec, j’avais de nombreuses références, mais comme j’étais à peu près la dernière génération à en faire, tout ce pan de ‘ma’ culture a disparu, puis ce fut le tour du latin dont la culture véhiculée avec la langue a presque disparu, en tout cas chez les ‘jeunes’. Il ne sert à rien de se lamenter, par contre, je me range résolument du côté de Montaigne: “mieux vaut une tête bien faite que bien pleine”! Le drame de l’enseignement, c’est effectivement de former des ‘sachants’ et non des ‘pensants’.
il faut ajouter “discuté” après ‘parcequ’on en a discuté. J’ai appuyé sur la mauvaise touche trop tôt!
> je pense que tu en as tout simplement assez de faire ce cours!
Je ne pense pas… J’aime ce cours. Je le mets à jour tous les ans, et je modifie sa structure. Je rencontre assez souvent d’anciens étudiants qui viennent me saluer dans des réunions internationales et qui, apparemment, gardent un bon souvenir de ce que je leur ai raconté. A Venise, les étudiants amènent leurs copains à mon cour sur le développement durable, parce qu’ils aiment ça! Je n’ai donc pas tout faux! Cette année, j’avais ajouté à L. une section sur le “futur”, qui m’a coûté plus d’un week-end! Elle doit encore être mûrie, et je devrais la rédiger à l’ancienne, mais l’essentiel y est. Grâce à ce cours, je crois que je vois un peu plus loin que “l’expert ONU” moyen, parce que je m’arrête tous les ans pour remettre mes idées en place. Et ça, c’est positif aussi au niveau personnel.
Cette histoire m’a vraiment “messo in crisi” comme on dit ici. La base de la “crise” c’est que je ne sais pas si ma perception vient du fait que je suis devenu un vieux crouton acariâtre et “laudator temporis acti” ou si la génération en face est vraiment tellement différente et, selon moi, mal barrée. Je ne comprends pas pourquoi c’est cette année que je prends la baffe. “Ils” étaient déjà pareils l’an passé! Je ne comprends pas non plus si certaines valeurs importantes (comme la capacité d’analyser un problème en profondeur) font réellement défaut à ces étudiants, comme je le pense. Le fait de “copier” le net sans y penser est certainement très répandu, mais tous les jeunes ne sont pas comme ça. Peut-être aussi que, s’ils y étaient contraints par les circonstances, ces jeunes se révéleraient créatifs et intellectuellement débrouillards. Peut-être! Il y en a certainement qui fonctionnent de façon normale, qui ont la capacité d’apprendre et de comprendre, et qui réfléchissent par eux-mêmes. C’est sans doute un minorité, mais il faut espérer que c’est ceux-là les leaders de demain. Je suis aussi catastrophé par le fait que l’université (et les autres écoles, en commençant à 6 ans) , donne une chance à des tocards avérés et à des haridelles dont on voit bien qu’elles boitent. A l’école primaire, bon, la finalité est différente: il faut donner à chacun la chance de trouver son créneau, gentiment, en espérant qu’une fois l’école quittée les élèves soient satisfaits et heureux de leur vie. Mais nous parlons ici d’un troisième cycle universitaire. De ces étudiants qui ont un mastère, ou qui sont ingénieurs, la moitié n’est pas à sa place. Dieu reconnaitra les siens? Inch’Allah! En attendant, c’est l’université qui ne fait pas son boulot, et qui en porte la responsabilité.
Sans me lancer dans de la philosophie de haut vol avec moult références, je ne pouvais pas rester plus longtemps sans réagir à ton discours ‘”soft” à ce sujet, ainsi qu’aux diatribes qu’il a suscité.
Je suis aussi régulièrement en contact avec des étudiants. Ou des jeunes adultes que sont les ami(e)s de mes aînés. Et donc ouvre mes yeux et mes oreilles à un monde qui tente de m’échapper.
Je suis effaré par l’ignorance et l’acculturation d’une grande partie de ce public. Ceci, et je sais que je parle à un père de famille, enseignant et féru d’informatique, à mon avis par manque d’éducation et…Internet qui pour certain est devenu le père, la mère, l’amant ou la maîtresse.
Lorsque je posais certaines questions à des étudiants de 3ème cycle, il m’a été souvent répondu “On va aller voir sur le net. Pourquoi retenir ça ?”. Et ceci pour des notions de base.
Je pense qu’un PhD avec une jolie thèse c’est bien, mais que c’est la curiosité qui non seulement forge un savoir mais encore fait progresser la science et la connaissance. Et un ingénieur qui ne connaît pas Baudelaire, Brahms, les Beatles ou Musset, par exemple, rate quelque chose dans sa vie. Outre la connaissance, il s’agit d’un amour de la vie, qui permet un épanouissement de tous les instants. Et même les statistiques, par exemple, peuvent être passionnantes. Si on essaye d’en discerner une finalité. On pourrait en dire autant du latin ou de la flûte traversière.
Il est plus inquiétant de penser que le futur serait confié à des personnes n’ayant pour autre lecture que leur programme de télévision et se reposant sur le net pour le reste. Orwell n’est pas loin !
Mais ne sommes nous pas un peu responsables de cet état de choses ? J’ai vu mon fils (Renaud) terminer sa thèse en travaillant essentiellement sur le net. Il ne m’a quasiment jamais demandé d’acheter un livre. Et j’avoue que je lui ai payé une télé dans sa chambre. Or que ma fille aînée (criminologue) dévore des livres au kilo. Des bons livres comme je les aime, en papier, bien dans la main, sous un arbre, que tu peux annoter d’une manière subtile (ma femme n’aime pas que j’écrive dans les livres).
Oui l’ignorance commence à faire peur. Mais il faut se dire qu’on n’y est peut-être pas pour rien. Sommes nous des ‘moteurs’ pour dynamiser cette jeunesse ?
On ne m’a pas encore qualifié de dinosaure (et je connais Simple Minds..!) mais je prétends que notre société, dans son mode de fonctionnement actuel au point de vue de l’éducation au sens général du terme, nous mène à un nivellement par le très bas. Au ras des pâquerettes. J’en veux aussi pour preuve la littérature vendue dans les kiosques. A chaque retour, je dois bien chercher pour avoir autre chose que du people ou du c… (et évidemment pas d’abonnement au Congo, il n’y a plus de poste depuis plus de vingt ans).
Mais je pense qu’un black out ferait du bien en Europe (en outre). Et réapprendre l’odeur de la bibliothèque.
Je suis très content que mes enfants aînés aient fait des humanités latines. Il est de notoriété que cela ne servait à rien. Eux même maintenant réalisent la richesse que cela leur a apportée.
Réaction rapide. Je ne sais pas si cela changera grand-chose. Essayons déjà d’agir autour de soi. Et je constate qu’il est plus facile de faire aimer Debussy, les Doors ou le Dhammapada de Bouddha à une sentinelle (askari) qui ne cherche qu’à apprendre, qu’à un doctorant imbibé de télé, Ipod etc… D’ailleurs, à 10 millions dans un mouchoir de poche comme la Belgique, mais chacun avec ses écouteurs dans les oreilles, je suppose que la communication, outil du savoir, à disparue ?
Pour les curieux éventuels, allez voir les commentaires à Wikipedia Vs Encyclopaedia Britannica. Edifiant!
Eric vient de m’envoyer un lien vers le site de la Libre Belgique (http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/685900/le-niveau-des-etudiants-est-en-chute-a-l-universite.html) selon laquelle “Le niveau des étudiants est en chute à l’université”. Je ne sais pas si le niveau est en chute, mais je sais avec certitude qu’il est bas depuis pas mal de temps, si j’en puis juger par mon expérience aux universités de Liège et de Venise depuis 1994. Pire: les étudiants ont tellement peu de connaissances générales qu’on se demande ce qu’ils ont fait depuis la sixième primaire. Ce qui me frappe (et je l’ai souligné dans ce blog), c’est leur incapacité a faire des rapprochements (comme par exemple entre la situation de l’agriculture dans certains pays de l’Est et la crise économique qui les a touchés après la chute du mur de Berlin). C’est un peu comme s’il n’existait que le “premier degré”: ce qui n’est pas explicite n’existe pas. Bien entendu, il y a des exceptions, mais il y a une incapacité manifeste chez certains étudiants à réfléchir, à se concentrer, à faire l’effort d’essayer de comprendre… Je ne suis pas psychologue et je ne veux pas tout expliquer tout ce gâchis en termes d’internet, Ce que je peux dire avec certitude c’est que la méthode de travail standard est de trouver des solutions toutes faites sur internet sans se casser la tête.
Voici un exemple, extrait du devoir qu’un étudiant de l’Université de Liège m’a remis en 2011-11 (je passe sur l’orthographe!):
“[…] L’accessibilité de la nourriture est garantie lorsque les communautés et les ménages, y compris la totalité des individus qui les composent, disposent des ressources adéquates (argent, par exemple) pour se procurer les aliments nécessaires à un régime équilibré. Il dépend des revenus des ménages, de la répartition de ces revenus au sein de la famille et du prix des denrées. [(1) Il dépend également des droits et prérogatives sociaux, institutionnels et commerciaux des individus, notamment de la répartition publique des ressources et des systèmes de protection et d’aide sociale.]
Pour que les denrée soient disponible, cela suppose qu’avant toutes choses les aliments doivent etre disponible en qualité et en quantité et cela passe necessairement par la croissance de l’agriculture à travers la planete. [(2) La terre – c’est-à-dire le sol – représente la base fondamentale de la richesse, l’élément sur lequel nous pouvons compter pour la survie de l’humanité.] Se basant sur une telle constation , d’enomes efforts ont été conscentis avec la revolution verte visant à ameliorer le rendement agricole . l’agriculture a été principalement orientée vers la recherche de la productivité. [(3) A partir des années 60 et jusqu’à la fin des années 80, l’amélioration des variétés végétales et des races animales, ainsi que l’application des techniques modernes de l’agriculture des pays tempérés (engrais, produits phyto et zoo sanitaires) a dominé le paysage.] La recherche, grâce à ce que l’on a appelé la «Révolution Verte», a permis d’accroître de manière spectaculaire les rendements en vue d’éloigné le spectre des famines.”
Dans ce paragraphe sans structure bien définie, les passages soulignés sont purement et simplement “empruntés” sur le web, sans indication de la source (cliquer sur le lien!). On reconnait aisément les emprunts grâce à la rupture de style, un air de déjà vu et à l’orthographe!
Quand je donne un 0/20 à un tel travail, je vois bien que ça passe mal chez mes collègues… qui, c’est mon impression, trouvent la réaction excessive et, sans doute, s’en fichent pas mal que l’étudiant plagie. Notez qu’en deuxième session, le même étudiant m’a remis un devoir en six pages, dont trois étaient écrites en français grammaticalement correct et sans erreurs d’orthographe, les autres étant de sa main!
Comme je le disais, mon expérience en la matière est limitée; je suis convaincu, pour ma part, que les trois quarts des étudiants sont des “contremaitres déguisés”. Ils feront de bons techniciens qui feront ce qu’on leur dira de faire. Ils continueront à pratiquer le plagiat et le mensonge scientifique. Je n’en attendrais pas trop d’idées originales!
Ci dessous, un dessin de l’artiste argentin Sergio Periotti (http://www.sergioperiotti.com.ar/). Merci pour le dessin, François
J’ai le netbook, le lecteur MP3, le pendrive, l’iPad. Papa, qu’utilisiez-vous à l’école? La tête! Denise, une de mes anciennes collègues à la FAO, disait de sa fille qu’elle est un electronic octopus à cause de son habitude de faire ses devoirs en écoutant de la musique, tandis qu’un film passe à la télé et qu’elle envoie un email à sa copine. Mieux que Napoléon!
L’université de L. a finalement réalisé qu’il y a un problème. Il s’en est suivi un guide à l’attention des étudiants et chercheurs, téléchargeable ici. L’université a aussi fait imprimer un petit dépliant à l’usage des étudiants, dépliant que je n’ai pas trouvé sur le site de l’université et que j’ai posté ici.
Je note le passage suivant, qui dédouane en quelque sorte les plagaires:
Mal informé, pressé par le temps, il est tentant de penser qu’un copier-coller, “juste pour une fois”, “ce n’est pas si grave”… Et bien si ! Même si c’est occasionnel, même involontaire, même sans intention de nuire… un plagiat peut être lourd de conséquences. Avant de rédiger un travail, prenez toujours le temps de vous renseigner sur ce qui est permis… et ce qui ne l’est pas !
L’université ne voit pas que les plagiaires pratiquent leur sport favori en professionnels, pas en amateurs. Je ne trouve pas une phrase plagiée isolée au milieu d’un ocean d’idées personnelles. Ce que je vois, ce sont des devoirs construits au moyen de blocs pris sur le web, où la seule contribution de l’étudiant se résume au cimentage plus ou moins (mal)adroit en français plus ou moins correct.
Que risque l’étudiant? Le site de l’université donne ces détails:
Article 18 :
§1 Toute fraude ou plagiat entraîne automatiquement une note de 0/20 pour l’examen concerné. L’enseignant avertit aussitôt l’étudiant et le Président de jury (ou le Doyen si le Président est l’enseignant concerné). A sa demande, l’étudiant peut être entendu par le Président de jury (ou le Doyen si le Président est concerné).
§2 Si le cas le justifie, il peut en outre être fait application des peines disciplinaires prévues par la loi du 23 avril 1953. Ces peines sont prononcées selon le cas par le Recteur ou le Conseil d’administration.
§3 En cas de flagrant délit, l’enseignant ou l’une des personnes prévues à l’article 14 al.2 et 3, est habilité à prendre toute mesure utile à faire cesser la fraude. Dans les plus brefs délais, les faits sont communiqués par l’enseignant concerné au Président de jury.
Les peines disciplinaires qui peuvent être prononcées sont les suivantes (article 60 de la Loi du 28 avril 1953) :
A. Peines prononcées par le Recteur :
1. admonition
2. suspension du droit de fréquenter les cours, laboratoires et séminaires durant un mois
3. suspension du droit de fréquenter l’Université pour une durée de plus d’un mois (sans pouvoir dépasser un an)
B. Peine prononcée par le Conseil d’administration : l’exclusion.
Je parlais hier avec un professeur de l’Université de Californie (Davis) où la règle est la tolérance zéro. Nous en sommes loin avec l’article 18 ci-dessus!
Le copier coller est une méthode de travail plus ou moins intelligente. Il se peut que les étudiants n’aient pas appris à réfléchir par eux-mêmes. Les étudiants que je côtoie ont des lacunes énormes. Ils ne savent pas rédiger une bibliographie, parce qu’ils n’ont pas compris la logique de la bibliographie. Quand je m’insurge contre des références approximatives, au format on ne peut plus hétéroclite, on (les vrais profs!) me regarde avec commisération: pauvre vieux, il est reparti sur son dada! Ces mêmes étudiants n’ont aucune perception des ordres de grandeur, parce que personne n’a attiré leur attention sur l’importance de la connaissance quasi intuitive de ce qui est réaliste et de ce qui ne l’est pas. Voilà le vrai problème. Les universités sont sensées produire des gens qui réfléchissent par eux-mêmes. A la place, nous avons des gens qui restituent, sorte des systèmes input-ouput élémentaires ou l’input, on l’a deviné, est le web.
Humour hongrois…
pour ceux qui ne connaissent pas l’humour hongrois, en voici un très bel exemple en rapport avec ce billet. Comme d’autres avant lui (http://www.economist.com/blogs/newsbook/2011/03/zu_guttenberg_resigns), le président de Hongrie Pál Schmitt a plagié divers travaux scientifiques dans sa thèse de doctorat (voir : http://www.economist.com/blogs/easternapproaches/2012/03/hungarys-president). Dans la Hongrie de Viktor Orbàn, ceci ne porte apparemment pas à conséquence… La formule qui circule sur le net en Hongrie est
PhD = (Ctrl-C) + (Ctrl-V)
La source de l’ignorance.
http://m.lalibre.be/actu/belgique/le-pitoyable-plagiat-des-autorites-de-l-ulg-5565f53e3570fde9b372186e
A mourir de rire ou à pleurer, selon.
Il va sans dire que personne en haut lieu dans l’université de Liège ne s’en est ému le moins du monde.
Un site à visiter: l’histoire d’un prof qui a piégé ses élèves:
http://www.laviemoderne.net/phpBB3/viewtopic.php?p=248#p248
A lire aussi: les commentaires!
Je lis ce billet et cette discussion en cherchant autre chose sur le site…
Une chose me paraît sûre, c’est à quel point les facteurs historiques, éducatifs, culturels au sens anthropologique, sont majeurs dans cette supposée évolution de la jeunesse au regard des explications génétiques. Ici, culture (ou acquis) 1 – génétique (ou inné) 0. Un élément sans doute majeur dans le processus réside dans les évolutions non pas technologiques mais techniques.
Une deuxième chose ne me paraît pas loin de la certitude non plus, c’est que les plaignants sont âgés, et qu’en termes de générations, ce sont les anciennes qui forment et les nouvelles, et le monde dans lesquelles ces dernières sont amenées à vivre longtemps et à commencer leur âge adulte. “Les vieux” n’ont jamais voulu faire autre chose que ce monde dont héritent “les jeunes”, et ces derniers sont venus au monde sans avoir rien demandé. (Ce qui est vrai à toute époque, une variable étant le degré auquel chaque génération a le sentiment d’avoir pu choisir.) À partir de là, le problème reste entier.
Il faut bien parler de “culture générale”, et pas de “culture” tout court. LA culture générale reste un objet contingent, socialement et historiquement daté.
En supposant la plainte recevable, la jeunesse d’aujourd’hui sera-t-elle moins armée face aux défis qui l’attendent, que les baby-boomers ne l’ont été face à ceux qui ont été les leurs (proches de zéro?) ?
Plus de douze ans après la parution de ce billet, il m’apparaît qu’une partie de la jeunesse d’aujourd’hui témoigne de plus de réactivité face à la muraille climatique que la grande majorité des plus de quarante ou cinquante ans.